Prenez la Sardaigne au XVIIe siècle, ajoutez-y l’or maudit volé aux Incas par les conquistadores, une chasse aux sorcières, une héroïne pugnace et effrontée, complétez avec une bonne dose de péripéties aussi rocambolesques que malencontreuses et vous obtiendrez À coups de canon. Ce roman de l’autrice italienne Titania Blesh dépoussière la piraterie grâce à une chasse au trésor tragi-comique pleine de rebondissements, qui nous entraîne dans une aventure qui sent bon la Méditerranée, aux côtés d’un équipage féminin particulièrement cocasse.
« Le trésor égaré du célèbre Calogero Sauro. Enfants, on passait notre temps à se raconter des histoires dans les étables, à jouer à la chasse au trésor et à faire semblant de se combattre, perchés sur des navires improvisés, pour conquérir les mers. Mais le trésor était perdu. Guère plus qu’une légende, inaccessible. Du moins, c’était ce que je croyais jusqu’à ce que je rencontre Stellina Frangipane. Quelle avait été ma surprise quand j’avais découvert que le coffre-fort rempli de doublons se trouvait juste sous notre nez ! Il était enterré à Sainte-Marie-de-la-Citronnelle, une petite île au nord-ouest de la Sardaigne, non loin de l’île de l’Asinara, à environ une demi-journée de bateau de Sabbianera. »
À coups de canon, Titania Blesh, Hikaya
Piratesse !
Enfin, Fiammetta va pouvoir réaliser son rêve de quitter sa vie misérable sur l’île de Sabbianera pour devenir une authentique piratesse. Finis de subir les coups de son stupide mari, de s’échiner misérablement pour quelques piécettes et des regards indignés, elle et quelques compagnes bien choisies vont enfin prendre leur vie en main et goûter à la liberté. Tout ça, c’est grâce à la petite Stellina qui, sous ses airs de fillette adorable, est en réalité une Zipa : une sorcière capable de repérer les doublons espagnols qui ont été éparpillés lors de leur transport des Amériques vers l’Europe. Grâce à ce trésor, Fiammetta et ses filles pourraient bien devenir les piratesses les plus riches de toute la Méditerranée… à condition que leurs maris, le père de Stellina et Ambrosio de Los Reyes, ce maudit inquisiteur espagnol, ne viennent pas fourrer leurs nez dans leurs affaires !
À toutes voiles
Avec un ton délicieusement irrévérencieux, Titania Blesh nous plonge dans une aventure trépidante où les pires déboires succèdent aux coups de chance insolents, afin d’entraîner ses héroïnes dans des péripéties toujours plus folles. Loin, très loin des protagonistes classiques, Fiammetta jure, crache, ment sans vergogne et n’a pas vraiment le physique d’une sirène ! Pourtant, sous son air grognon et égoïste, elle cache un grand cœur et un farouche désir de liberté. Son recrutement des femmes de Sabbianera est d’abord utilitariste, mais elle finit par s’attacher à toutes ces compagnes d’infortune qui, comme elle, subissent les humeurs de maris violents et volages qu’elles n’ont pas choisis.
« L’odeur nauséabonde des pieds de Maffeo envahissait toute la cahute. Pour me décrasser les narines, je plongeai ma tête dans le panier de poissons que je tenais dans les bras. Parmi les rares pêcheurs de l’île, et malgré les journées entières passées en mer, seul mon mari puait des pieds. »
À COUPS DE CANON, TITANIA BLESH, HIKAYA
Le roman alterne le point de vue de Fiammetta et celui d’Ambrosio, tout en offrant quelques séquences flashback qui nous permettent de découvrir les événements qui ont forgé les deux personnages. Jamais à court de surprises, le récit ne cesse de nous étonner en faisant pleuvoir les imprévus sur ses protagonistes et en retournant ses situations au moment où l’on s’y attend le moins. On rit beaucoup, on s’inquiète parfois et les pages défilent sans même que l’on s’en aperçoive. L’aspect fantastique de l’histoire se déploie crescendo : d’abord par petites touches de-ci de-là, jusqu’à un bouquet final où la magie des Zipas prend le contrôle de la chasse au trésor et de l’histoire elle-même.
Une vie de forban
Si le récit de Titania Blesh fonctionne aussi bien, c’est aussi parce qu’elle s’est attachée à la crédibilité de ses personnages. Fiammetta et ses matelotes vont l’apprendre à la dure : il ne suffit pas de vouloir l’indépendance pour devenir une icône féministe ni de fantasmer une vie de forban pour s’y connaître en piraterie ! À coups de canon porte également un regard très juste sur les mœurs et clichés liés au genre, en n’oubliant pas que parmi les salauds se trouvent aussi des types bien et que toutes les femmes ne sont pas prêtes à se libérer des chaînes du patriarcat.
« Ambrosio soupira. Chaque fois qu’une femme montrait un comportement inhabituel ou s’écartait du droit chemin, Rodrigo s’obstinait à la taxer de sorcellerie. Il préféra apprécier le reflet de la lune sur la mer. — Pas de sorcière, réfuta calmement Ambrosio. Seulement des femmes très déterminées. — Déterminées à finir sur le bûcher, oui. Cette fois-ci réellement agacé, Ambrosio se retourna brusquement. Il aurait dû se sentir heureux d’être sain et sauf, en sécurité, mais l’obsession de Rodrigo pour les Zipas le faisait brûler de colère. Elles n’étaient pas toutes des sorcières. Elles n’étaient pas toutes hérétiques. Fiammetta remplissait peut-être beaucoup de ces critères, mais elle disposait d’un courage incroyable, qui lui permettait de s’opposer aux usages de son milieu. »
À COUPS DE CANON, TITANIA BLESH, HIKAYA
Enfin, le texte est particulièrement visuel et nous fait voyager au rythme de ses protagonistes. Sans être lourdes, les descriptions sont suffisamment imagées pour nous offrir la sensation de l’embrun salé et du sable, l’odeur de l’iode et de la lavande, et la fraicheur de la brise qui gonfle les voiles de la caravelle de Fiammetta. Les paysages sont là, à portée de page et lorsque l’on referme ce roman, c’est avec la sensation d’avoir participé, nous aussi, à cet incroyable périple.
Hissez les voiles ! À coups de canon vous entraîne dans une aventure ensoleillée avec un tsunami de péripéties, qui alterne, sans fausse note, violence crue et comique efficace. Un roman à savourer de préférence sur la plage, muni d’un tricorne et d’un bon verre de rhum !