Rush, à la recherche de l’essence de la créativité

Contrairement à ce que son titre pourrait faire croire, Rush démarre lentement. Presque trop. Pourtant, le roman qui navigue sur les registres de la science-fiction, de l’autobiographie et de l’essai philosophico-technique parvient à surprendre et à délivrer une vraie leçon sur l’écriture.

« Pour [les IA], les humains ne valent pas plus que les fourmis ou les kangourous. Elles mettent toutes les espèces vivantes à égalité. Elles pratiquent le fascisme vert. Elles sont persuadées que votre avenir dépend d’elles comme celui des chimpanzés a longtemps dépendu de votre bon vouloir.
C’est ignoble.
D’un point de vue humain, oui.
 »

Rush, Thierry Crouzet

Archéofiction

En 2352, après la montée des eaux qui a profondément bouleversé le monde et l’humanité, les I.A. contrôlent tout, maintiennent les humains dans des habitations-bulles avec tout le confort nécessaire afin de leur éviter de reproduire les erreurs qui ont mené au réchauffement climatique. Roc Cardinal fouille dans des photos d’archives du xxie siècle et découvre une femme sur une terrasse un soir de 14 juillet. La photo l’obsède, il veut savoir qui était celle qu’il décide de nommer Rachel. Son enquête le mène vers la villa de Thierry Crouzet, un auteur de la même période qui aurait caché Le Roman des romans, un manuscrit unique, le dernier avant l’ère de l’écriture par I.A., celui qui, dit-il, contiendrait le secret de l’essence même de la création, celle que les machines ne parviennent pas à reproduire. La quête de Roc pour découvrir qui était Rachel se double très vite de celle des différents chapitres du manuscrit. Mais dans ce monde ultrasurveillé et contrôlé, les I.A. désirent elles aussi mettre la main sur cette recette ultime qui leur ouvrirait les portes de la créativité.

Métafiction

Si le démarrage de Rush peut s’avérer lent et déroutant, le roman se révèle petit à petit comme un objet hybride, entre autobiographie, métafiction et autofiction, entre S.-F. et fantastique. Crouzet y assume sa part de narcissisme, son écriture bordélique, parfois chaotique, et son non-respect des conventions typographiques. Le roman est autant l’histoire de Roc Cardinal et Sally Mann, qui aide celui-ci dans son enquête, que le récit plus intime de l’auteur face à la maladie de son épouse.

« Charlie est une chimère du passé. Les traces de ses conversations ont été détruites pour interdire les recherches sur la genèse de la culture artificielle. Une tactique utilisée par les dictateurs pour construire une image mythifiée d’eux-mêmes. Commode, le fils de Marc Aurèle et dernier empereur de la dynastie des Antonins, a fait réécrire les chroniques du Sénat. Staline a effacé ses opposants des photographies anciennes et minimisé le rôle de Trotsky dans la révolution. Mussolini, Mao Zedong, Saddam Hussein et bien d’autres ont recouru aux mêmes stratagèmes, comme le fera plus tard Viktor Sokolov en 2187 en effaçant de l’hypersphère toute trace des révoltes lunaires. Cette pratique d’altération du passé a inspiré le ministère de la Vérité dans 1984. Son but: réécrire l’histoire pour l’adapter aux besoins du Parti. Dans le chapitre  5, les échanges entre Crouzet et Charlie m’apparaissent comme un des noyaux primordiaux échappés à la censure. Les IA ont voulu vous empêcher de les mettre à nu et de révéler leur point névralgique. »

RUSH, THIERRY CROUZET

La leçon d’écriture qu’il tente d’y donner, le rush, ce sentiment impérieux qui envahit les personnes créatives pour les pousser à créer, ce que Pratchett définissait comme « les particules d’imaginations », est tout d’abord confuse, difficile à saisir. Pourtant, un peu à la manière dont l’ont fait Werber ou King avant lui, l’auteur parvient à exprimer ce jaillissement incontrôlable et incontrôlé qui transforme les mots en histoire. Avec tout le franc-parler et la technicité qui le caractérisent.

Rush interroge autant le devenir de la création à l’ère de l’intelligence artificielle que ce qui fait un auteur ou une autrice. Si le roman met du temps à trouver sa voie, il parvient à délivrer un message honnête, presque cathartique pour Crouzet, qui se livre comme jamais auparavant.

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