Mné/Sys : quand la science-fiction dissèque la mémoire

Pour célébrer trente années d’exploration des littératures de l’imaginaire, les Éditions Mnémos ont fait le choix de se tourner vers l’avenir plutôt que vers la nostalgie. Parue en octobre 2025, l’anthologie Mné/Sys est issue d’un concours de nouvelles consacré à la mémoire, ouvert à des primo-auteurs et primo-autrices. Cinq textes ont été retenus, cinq visions singulières d’un futur incertain où la mémoire devient tour à tour enjeu politique, intime, technologique ou poétique. L’ensemble interroge ce que l’humanité choisit de conserver, d’altérer ou d’abandonner lorsque le monde bascule vers de nouvelles formes de conscience et de transmission.

Cinq récits pour penser la mémoire

Les nouvelles réunies dans Mné/Sys partagent un même questionnement, mais jamais une même réponse. La mémoire y est tantôt support matériel menacé de disparition, tantôt flux immatériel, tantôt refuge intime ou champ de bataille idéologique. Cette diversité d’approches constitue l’une des grandes forces de l’anthologie, qui évite toute redite et propose un panorama riche des sensibilités contemporaines de la plume francophone.

BPU, vertige biopunk

BPU de Clarissa J. Choi s’impose avec une force rare. Cette nouvelle brille par la justesse de son anticipation et la rigueur de sa construction scientifique. Les BPU – Biological Processing Units – y dépassent leur statut de simples innovations technologiques pour devenir des entités complexes, prises dans des dynamiques de pouvoir, de dérives et de conflits systémiques.

Forte d’un parcours mêlant sciences exactes et imaginaire spéculatif, l’autrice façonne un univers où biopunk et cyberpunk s’entrelacent avec une précision redoutable. Elle ne se contente pas de décrire un futur plausible : elle l’habite, le dissèque et en révèle le vertige. Sa plume, dense mais fluide, technique sans jamais être froide, donne envie d’explorer davantage ces réseaux vivants, ces consciences fragmentées et la folie scientifique qui les engendre.

Mémoire collective et disparition

Avec Le Dernier livre, Ennen pose une question fondamentale et inquiétante : que subsiste-t-il de l’humanité lorsque le savoir ne repose plus que sur une poignée de témoins et que disparaît son dernier support matériel ? Cette fable douce-amère explore avec délicatesse la fragilité de la mémoire collective et la disparition progressive de notre patrimoine culturel. Le récit, volontairement épuré, laisse affleurer une mélancolie persistante face à l’effacement.

Souvenir comme souffle

Dans Nous sommes de vent, Jièm Mixcoatl adopte une tonalité résolument poétique. Le futur y est perçu comme un mouvement perpétuel, un souffle insaisissable où la mémoire n’est plus archive, mais circulation et métamorphose. L’écriture, sensorielle et aérienne, épouse pleinement cette vision organique du temps et des relations humaines dans un monde incertain, proposant une lecture presque méditative du souvenir.

L’intime contre l’effacement

Ce moment que je ne veux pas perdre, de Romy Seube, plonge au cœur de l’intime. La mémoire devient émotion, attachement et résistance face à l’effacement induit par la technologie. Comment préserver un instant ou un lien lorsque tout s’accélère et que l’émotion se dilue dans un flux continu de données ? La nouvelle se distingue par sa finesse psychologique et par une conclusion inattendue et bouleversante, qui laisse une empreinte durable.

Survivre par les traces

Enfin, Tant qu’ils restent de Mad Willow mêle nostalgie et survie dans un monde en mutation. La mémoire des lieux, des corps, de la violence et des absents y devient un acte indispensable face à l’oubli. L’univers, à la fois rude et poétique, interroge la persistance du passé comme ancrage essentiel à l’identité et comme rappel préventif contre les pires dérives de l’humanité.

La grande force de Mné/Sys réside dans la pluralité de ses regards. Aucune nouvelle ne ressemble à une autre, ni par le style ni par la vision proposée. Cette diversité met en lumière une nouvelle génération d’auteurs et d’autrices francophones à suivre de près, tout en inscrivant l’anthologie dans l’ADN de Mnémos : celui d’un éditeur passeur, curieux et audacieux. Mné/Sys s’impose ainsi comme une porte d’entrée stimulante vers les imaginaires de demain, où la mémoire, loin d’être figée, reste un territoire vivant et conflictuel.

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