Live memorium : répéter le passé

Le cas de ce chercheur chinois qui est parvenu, en 2024, à créer une I.A. nourrie avec les informations de sa grand-mère décédée, afin d’en faire un clone virtuel, avait déjà été abordé dans notre critique de (Dés)incarnations. Si la technologie soulève questions et inquiétudes (quid du deuil nécessaire à la psyché humaine pour se remettre de la perte d’un parent ?), c’est une idée un peu similaire, et tout aussi inquiétante, qui guide le récit de Live Memorium. C’est d’ailleurs sans doute ce qui rend ce manga si angoissant : sa manière de s’inscrire dans l’air du temps, avec une technologie qui aurait paru fictionnelle il y a dix ans et qui semble si proche aujourd’hui.

Une chose est sûre, Live Memorium est une lecture qui ne laisse pas indifférent.

Deuil

Tomasu est un trentenaire mal dans sa peau. Moqué par ses collègues, subissant des pressions de la part de son patron véreux, il mène une vie solitaire qui semble lui peser. Un jour, sa mère, l’une des rares personnes à lui apporter un peu de réconfort, décède. Effondré, Tomasu pense à se suicider. Son ami Usagi lui offre alors une séance de Live Memorium : un appareil illégal censé pouvoir faire revivre ses souvenirs à son utilisateur comme s’ils étaient réels. Mais la méthode n’est pas sans danger et les conséquences, physiques comme psychologiques, peuvent s’avérer très lourdes. Lorsqu’il se retrouve plongé dans son enfance et qu’il revoit celle qui l’a élevé, Tomasu réalise qu’il peut modifier son souvenir pour lui donner une fin plus heureuse que celle qu’il a connue. Bien vite, la réalité devient secondaire pour le jeune homme, tout ce qui compte c’est ce souvenir, qui prend sans arrêt une tournure différente à mesure qu’il essaie de le rendre parfait.

Détresse

Live Memorium est une plongée terrible dans les méandres de la détresse. Une progression dantesque de victime à bourreau. Sombre, violent, parfois malsain, le titre ne laisse personne indifférent. Bien moins science-fiction que fantastique, l’œuvre touche si fort au réel – avec sa mégalopole froide et sans âme, sa population désintéressée – qu’elle en devient troublante, miroir d’un futur possible et effrayant. Si le parcours de Tomasu apparaît comme un long calvaire jonché de souffrance, sa rébellion, lorsqu’elle intervient, sonne comme une catharsis. En libérant son héros du poids de ses regrets, en lui faisant embrasser son côté sombre, l’auteur, Miki Makasu, offre aussi à ses lectrices et lecteurs un exutoire à sa propre rage. On se surprend à réclamer de Tomasu qu’il cède enfin à la violence qui couve en lui, tout en s’inquiétant des conséquences de cette dernière.

À ce sujet, si le dessin de Benoît Bourget rend parfois l’action légèrement confuse, on ne peut nier qu’il illustre à la perfection toute la noirceur de cette histoire. Cru, sans faux-semblant, Live Memorium se veut moins un questionnement sur la technologie que sur ce qui pousse l’humain à y chercher du réconfort. Au sein d’une société qui nie les droits du vivant, mais qui n’exclut pas d’en donner un jour à l’I.A., n’avons-nous pas, nous aussi, basculé dans une certaine forme de déshumanisation ?

Car c’est sans contexte cette déshumanisation qui est le moteur de ce tome unique.

Une histoire mature, angoissante, aux accents de Black Mirror et autre Love, Death and Robots, qui signe là une anticipation diablement crédible.

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