Il est rare que des œuvres russes parviennent jusqu’à nos frontières, encore plus dans nos cinémas. Si le diptyque des Sentinelles fait exception, c’est peut-être parce que, dans son pays d’origine, les films ont pulvérisé Le Seigneur des anneaux au box-office. Peut-être aussi parce qu’ils sont l’adaptation très libre d’une vaste série de romans à succès de l’auteur Sergueï Loukianenko.
En France, les avis sont mitigés. Il faut dire que, pour les spectateurs et spectatrices non avertis, habitués au cinéma hollywoodien, les films ont quelque chose de déroutant. Leur mise en scène, certains choix de cadrage, de couleurs… Tout dans ces productions russes tranche avec ce à quoi nous sommes habitués. Pourtant, il y a aussi quelque chose de sincère, d’organique, dans la réalisation de Timur Bekmambetov, tout comme dans cette histoire de mages cachés au cœur de Moscou et de destin implacable.

Les Autres
Night Watch s’ouvre sur une bataille entre les forces du bien et du mal qui a lieu mille ans avant notre ère et qui se conclut par un pacte. Puisqu’aucune des deux armées ne peut prendre le dessus sur l’autre, une trêve est conclue : plus aucun Autre, ces humains détenteurs de pouvoirs magiques, ne pourrait être poussé vers un camp ou l’autre, mais devrait l’avoir librement choisi. Ceux de la Lumière seraient chargés de surveiller ceux de l’Ombre et inversement, afin de s’assurer que personne n’enfreigne les règles. Ainsi naquirent le Contrôle de la Nuit et celui du Jour, et leurs agents, les Sentinelles. Bien que depuis la signature du traité, chaque camp reporte diligemment toute violation de la part de l’autre, les vieux chefs continuent de comploter pour grossir leurs rangs, utilisant l’humanité et les Autres comme leurs pions. Mais il est dit qu’un jour apparaîtra celui destiné à devenir le Grand Autre. S’il choisit le camp de la Lumière, alors la Lumière l’emportera. Mais ceux à qui la vérité a été révélée disent qu’il choisira l’Ombre, car il est plus facile de céder aux Ténèbres que de dispenser la Lumière autour de soi…
En 1992, à Moscou, Anton Gorodetsky rend visite à une sorcière nommée Daria et lui demande de jeter un sort capable de faire revenir sa femme, au prix de l’enfant qu’elle porte. Alors que le sort est sur le point d’être exécuté, deux mystérieux personnages font irruption et maîtrisent Daria, l’empêchant ainsi de terminer sa macabre entreprise. Lorsqu’ils remarquent qu’Anton est capable de les voir, les deux intrus, des Sentinelles du Contrôle de la Nuit, comprennent qu’il est lui aussi un Autre, comme eux. Douze ans plus tard, Anton s’est lui aussi enrôlé dans les Sentinelles au service de la Lumière. Alors qu’il patrouille dans Moscou, il est confronté à des événements étranges, des présages qui, selon Geser, le chef des forces du Jour, sont liés à la prophétie annonçant l’arrivée du Grand Autre. Les investigations d’Anton le mènent à une infirmière, Svetlana, que le malheur semble suivre partout, et à un jeune garçon nommé Yegor.

Flou
À l’inverse des romans, qui sont plus lents, plus denses et ne tissent pas les mêmes liens entre les personnages, les films sont nerveux et enchaînent les séquences d’action. Une évidence, puisqu’il fallait réaliser une histoire qui tienne en seulement deux films, mais qui a pu perdre le public francophone. Le monde des Autres est en effet complexe, régi par des règles et leurs exceptions, trop nombreuses pour être intégrées en deux productions de 110 et 139 minutes. Pourtant, les deux œuvres sont intéressantes à leur manière et offrent deux visions complémentaires de l’imaginaire russe. En rendant son Anton plus flou moralement, en lui donnant un passé difficile et les regrets qui l’accompagnent, Timur Bekmambetov crée un personnage auquel il est plus compliqué de s’attacher, mais dont l’évolution est plus intéressante que celui des livres, qui se montre davantage analytique et porté sur l’introspection.

Le film met également l’accent sur la grande guerre entre les Autres et l’imminence d’une bataille finale qui ne peut se régler que dans le sang, là où les livres préfèrent mettre en avant cette ambiance de Guerre froide, de coups fourrés et de petites magouilles entre les deux camps. C’est d’ailleurs cette vision particulièrement poreuse du bien et du mal, où le premier semble plus prêt à sacrifier ses troupes que le second, qui rend l’œuvre, sous toutes ses formes, si intéressante. Ça et sa Russie d’urban fantasy désenchantée, où l’on scelle des accords à la vodka et où les chanteuses pop sont des sorcières.
| Pour prendre la mesure de ce que comporte l’imaginaire russe en termes de symbolisme, de métaphore, mais aussi la manière dont ses artisan‧es le conçoive, comment ses personnages sont tissés et leurs enjeux narrés, on ne peut que vous conseiller de voir les films ET de lire les romans, malgré les hideuses couvertures des versions françaises ! Bien qu’imparfaites, les aventures d’Anton Gorodeski sont un miroir de la culture slave et de sa manière d’aborder la fantasy. Aussi surprenantes que fascinantes. |
