Le Désert des couleurs : un voyage onirique au cœur de la mémoire

D’abord édité par Scrineo en 2021, puis en poche chez Pocket deux ans plus tard, Le Désert des couleurs est le onzième roman d’Aurélie Wellenstein. Après Mers mortes et ses marées fantômes, l’autrice nous emmène dans une épopée surprenante et poétique, au cœur d’un désert où chaque grain de sable est un fragment de souvenir.

« Il resta longtemps les yeux ouverts dans le noir, à écouter le chuchotement du vent glissant sur les sables, semblable aux murmures des milliers de mémoires oubliées, et des sanglots qui lui glaçaient l’échine. Quelque part, un enfant pleurait. »

Le Désert des couleurs, Aurélie Wellenstein

Désertification

Cela fait bien des siècles que ce qu’il reste de l’humanité s’est retranché à Eos, dans le cratère d’un volcan, afin d’échapper à l’avancée du désert des couleurs. Mais le sable monte petit à petit et tôt ou tard, il finira par atteindre la ville et tuer ses habitants. Car le désert des couleurs ne se contente pas de s’étendre, il vole aussi les souvenirs de toutes les créatures qu’il touche, jusqu’à les vider de leur substance.

Nés de l’union du mythique marchand de sable avec une humaine, les mimorians sont immunisés contre la malédiction du désert. Kabalraï est l’un d’entre eux. Avec sa demi-sœur, Irae, il s’apprête à se lancer dans une expédition au-delà des dunes multicolores afin de trouver la légendaire cité d’Alnaïr qui pourrait bien signer le salut de leur peuple. Pour les deux jeunes gens, cette quête sera aussi celle d’un passé oublié, violent et douloureux, qu’il leur faudra surmonter.

Onirique

À la manière de son désert qui s’installe petit à petit, le roman prend son temps, ne dévoile son univers et les relations entre ses protagonistes qu’avec parcimonie, pour mieux nous surprendre avec ses décors fantastiques, ses créatures oniriques et ses phénomènes incongrus. Le voyage de Kabalraï et d’Irae devient un peu celui des lectrices et des lecteurs, qui découvrent le monde au-delà du cratère au même rythme que les deux personnages. Au fil du récit, le rythme s’accélère, se faisant métaphore de l’existence qui semble défiler plus vite à mesure que le temps passe. Car le voyage est aussi un rite de passage pour le frère et la sœur, qui vont quitter l’innocence pour l’un, le déni pour l’autre, afin de se construire.

Aurélie Wellenstein est parvenu à rendre son duo particulièrement attachant et, étonnement, à l’éloigner des archétypes auquel il semble se conformer de prime abord. Kabalraï, avec son optimisme forcené, sa personnalité solaire et sa curiosité insatiable, permet à Irae, taciturne et colérique, de s’ouvrir peu à peu et de faire face à une douleur qu’elle refoule depuis des années. Avec pour seul compagnon Secrétaire, l’oiseau qui transmet leurs messages à Eos afin qu’ils puissent informer la cité de leur progression, frère et sœur vont devoir apprendre à s’apprivoiser, mais aussi à faire des concessions s’ils veulent survivre dans le désert des couleurs.

Au-delà de son épopée postapocalyptique, Le Désert des couleurs est un roman qui fait la part belle à la poésie, avec une façon particulièrement onirique de décrire la nature et les animaux. Et pourtant, tout comme ses dunes sublimes et colorées qui cachent des pièges mortels, la vérité qui se dessine à travers les souvenirs récoltés par Kabalraï sur le chemin – ceux de sa sœur, qu’il lui restitue chaque soir pour lui éviter de se déliter, mais également ceux des humains qui ont foulé cette Terre avant eux –, est digne d’une tragédie. Si le voyage est aussi magique, c’est pour rendre la cruauté de ses révélations encore plus dures. Esseulés, meurtris, Kabalraï et Irae font preuve d’une force et d’une résilience admirables. À travers eux, l’autrice nous rappelle que les fleurs de l’espoir peuvent éclore même au milieu du désert le plus hostile.

Derrière la fantasy, Le Désert des couleurs révèle une histoire sensible et humaine, nourrie de réflexions écologiques et d’une profonde bienveillance. La mémoire, sujet central du récit, est abordée dans toute sa complexité : peut-on réellement faire confiance à nos réminiscences ? Comment refoulons-nous les souvenirs les plus traumatiques ? Un texte surprenant, qui aborde des sujets difficiles avec une grande délicatesse, tout en offrant un panorama mystérieux et envoutant.

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