Avec son mélange de fantasy et de fantastique, son humour parfois grinçant et ses mystères savamment distillés, le premier tome d’Arborescentes nous avait convaincus que nous tenions là une série tout à fait originale, et il nous tardait de connaître la suite. Celle-ci démarre presque immédiatement après la fin du livre précédent, alors que le magnat de la pharmacologie Arès Varkoda à enfin mis la main sur la Serre et que la terrible créature invoquée par les sœurs San entame son voyage meurtrier.
« Passé un certain âge, les mercredis sont des lundis déguisés en mardis, avec quelque chose d’un samedi sans fin. En somme, c’est tous les jours dimanche. »
Retour aux Sources
Alors que l’armée de scientifiques de Varkoda tente de démonter et d’analyser la Serre pièce par pièce afin de comprendre l’origine de son pouvoir, Agathe Prasine, désormais démise de ses fonctions, s’intéresse de près à Enora, la jeune fille sortie de la Source au moment où Galaël y a plongé. D’ailleurs, de Source, il n’y a plus. Celle-ci s’est entièrement retirée et le bassin sous la Serre est vide. Seule Hélène – désormais Méline – possède encore son pouvoir, puisqu’elle en a bu plus que de raison. Ivre de vengeance, la fillette a déjà provoqué la destruction des usines Varkoda d’Argenteuil et ne compte pas s’arrêter là. Pourtant, une menace bien plus grande va la pousser à former une alliance inattendue avec son pire ennemi, jusqu’à lui faire quitter la France afin de trouver d’autres Sources, dont le pouvoir pourrait permettre de sauver l’humanité entière.
Sentiment mitigé
Ce tome 2 est l’occasion pour Frédéric Dupuy d’étoffer certains personnages et d’en complexifier d’autres. Agathe Prasine gagne ainsi énormément en profondeur (ainsi qu’en sympathie) et devient véritablement une héroïne à part entière. Méline, avec son impulsivité de fillette, oscille entre malice, apathie, moments de bravoure intense et, parfois, une certaine cruauté. Le sentiment est plus mitigé pour Arès Varkoda, que le récit fait passer de salaud patent à acolyte repenti suite à une révélation mystique. Comme Méline, il nous est difficile de pardonner l’arrogance, la violence et la cruauté du P.-D. G. ou de compatir à ses états d’âme suite à la perte de Moïra, surtout lorsque l’un des premiers chapitres du roman détaille les horribles expériences de vivisection pratiquées dans ses labos.
De façon générale, les nombreux changements sur l’identité réelle de certains personnages ou groupes, censés bouleverser notre compréhension du tome 1, donnent plutôt la sensation que l’auteur s’est trop dispersé, voire perdu en chemin. Cela passe par des détails, par exemple, pourquoi Agathe, surnommée « la vieille dame » dans le tome 1 et soudain devenue « la longue dame » ? Non pas qu’il soit impossible d’être vieille ET grande, mais ce nouvel adjectif ne fait que rendre plus confuse la vision qu’on a du physique du personnage et semble plutôt résulter d’un changement de direction de la part de l’auteur. De même, les révélations au sujet du groupe de hackers dont fait partie Orcanette, qui suscitait énormément de curiosité dans le tome 1, tranchent avec l’image qu’on s’en faisaient jusqu’alors et sont justifiées de façon maladroites.
Et que dire de ce nouveau grand méchant, qui apparaît comme le boss final d’un jeu vidéo, faisant complètement oublier les sœurs San (qui auraient pourtant fait un superbe trio d’ennemies) ? Outre son nom (Djimon), qui pousse à l’imaginer comme une créature issue d’un animé japonais, il manque cruellement d’épaisseur et semble uniquement mis là pour permettre d’unir les personnages dans un but commun et recentrer une intrigue auparavant trop dispersée. De même, la quête des autres Sources, si elle n’est pas dénuée de péripéties intéressantes, ressemble à un niveau de jeu vidéo : trop de lieux, d’ennemis, de personnages, qui nous rendent aussi confus que les héros perdus dans cette jungle dans laquelle il se sont enfoncés. Arrivé au bout de cette (trop longue) épopée, la découverte n’est guère à la hauteur, et les révélations sur le but et « l’identité » des Sources se montrent trop simplistes, presque enfantines.
Qualité d’écriture
Pourtant, Frédéric Dupuy est parvenu à conserver son ton si particulier, qui jongle plutôt brillamment entre aventure, magie et violence parfois crue. De même, développer les origines d’Enora, de Galaël et d’Agathe est une bonne idée, qui s’intègre parfaitement au récit et apporte un relief intéressant aux personnages concernés, ainsi que des explications cohérentes à la création de la Serre. À ce titre, le premier tiers du roman, avec ses nombreux retours en arrière et sa manière d’accrocher certains détails pour en révéler tous les enjeux, fonctionne très bien et se montre le plus réussi du livre.
En matière de qualité d’écriture, on ne peut pas enlever à Frédéric Dupuy un talent évident pour les mots. Le ton est juste, le texte fait preuve d’un certain lyrisme dans ses passages les plus poétiques et le registre des protagonistes est pertinent, chose rare dans les romans qui mettent en scène des enfants. Les descriptions sont vivantes et imagées, et l’auteur démontre un talent certain pour rendre ses péripéties particulièrement visuelles. La passion pour le voyage de Dupuy se ressent dans sa manière de présenter ses différents lieux, de détailler leur histoire, de les faire vivre à travers des sons, des parfums et des couleurs qui leur donnent un réalisme synergique.
Enfin, il est appréciable de constater que beaucoup des mystères soulevés par le premier tome trouvent leurs réponses dans celui-ci et que le final proposé, dans la même veine que son prédécesseur, se ferme sur un suspense qui nous donne furieusement envie d’ouvrir le tome 3, malgré le fait que certaines de nos attentes aient été douchées par les aspects précédemment cités. Si le livre se concentre moins sur les enfants et leurs problèmes pour embrasser une quête plus large, sa critique sociale nuancée et ses messages écologique et altruiste font toujours mouche.
« […] s’il y a bien une leçon que j’ai retenue de tout cela, c’est que ne rien faire, ce n’est pas faire le bien. C’est laisser le mal gagner petit à petit. »
Cette suite en demi-teinte nous laisse la sensation que Frédéric Dupuy a voulu voir trop grand et s’est perdu en chemin. Malgré cela, son récit conserve encore suffisamment de mystères et de personnages intéressants pour laisser un chance au troisième tome de conclure brillamment la série. Rendez-vous donc prochainement pour Arborescentes tome 3.