Depuis les années 2010, les adaptations graphiques de Lovecraft pullulent, avec plus ou moins de succès. Les Carnets Lovecraft d’Armel Gaulme sont un exemple de celles qui y parviennent, sans succomber à la tentation de ne faire que représenter l’horreur du texte en images, en oubliant de travailler les spécificités d’un média visuel. Mais La Tombe de D. D. Bastian et Nino Cammarata y parvient-elle ?
« Les gens semblent presque tous avoir l’esprit trop limité pour évaluer avec discernement les phénomènes auxquels se heurtent parfois les individus les plus sensibles. Des phénomènes qui dépassent l’expérience ordinaire et que peu de personnes parviennent à percevoir. »
Un style simple pour une histoire simple
Œuvre de jeunesse de Lovecraft, La Tombe est très représentative de son œuvre : l’horreur et le poids de l’héritage, l’incertitude de la folie ou de la lucidité, l’impression d’être juste au seuil d’une découverte qui finalement n’advient jamais. Des traits lovecraftiens qui se renforceront dans les œuvres suivantes, mais qu’il est étonnant de voir déjà ici si clairs. Ce sont en vérité les germes d’un mal profond qu’expose ce texte, et que les deux coauteurs ont tenté de transcrire en images, une prouesse toujours difficile pour une œuvre aussi littéraire, aussi lourdement textuelle que celle de Lovecraft.
Contrairement au crayonné accompagné de textes d’Armel Gaulme, la BD ici est moins originale : le style est assez réaliste, voire simpliste. Le dépouillé que peut adopter le crayon de Nino Cammarata est parfois un peu surprenant, on s’attend plus à un fourmillement de détails proche du style pesant et orné de l’auteur. Le choix également d’introduire des allusions sexuelles, que Lovecraft suggère parfois, mais ne développe jamais, explique qu’il s’agisse d’une réalisation faite d’après Lovecraft, plutôt qu’une simple adaptation. C’est un choix qui se défend tout à fait et qui permet de décaler légèrement l’œuvre canonique pour mieux la redécouvrir.
Malgré quelques réserves initiales, cet album se montre peu à peu convaincant et fini par vraiment s’apprécier pour ses choix, qui sont peut-être plus intéressant par l’indépendance qu’il manifestent. Certains puristes seront certainement mécontents de cette dissidence, d’autres pourront peut-être ainsi découvrir le maître de Providence. Ici, ce fut un plaisir de redécouvrir une œuvre qui n’avait jamais été lue.