Multiversalités, penser la science-fiction autrement

Avec Multiversalités, publié chez L’Œil d’or, la science-fiction devient un laboratoire d’idées. Loin d’un simple recueil d’histoires futuristes, ce livre hybride propose une véritable expérience de lecture où le récit et la réflexion se répondent. À la croisée de l’anthologie et de l’essai, il interroge la manière dont la fiction fabrique du sens et éclaire nos réalités. On en ressort troublé, stimulé, parfois dérouté, mais surtout enrichi.

Résumé de l’ouvrage

L’œuvre se construit autour d’une architecture singulière : une alternance entre nouvelles de science-fiction, analyses et textes critiques. Chaque récit ouvre une brèche imaginaire que l’essai suivant vient explorer, approfondir ou remettre en question.

Parmi les nouvelles, trois textes marquent particulièrement : Le reste n’est que spéculation d’Eric Brown, fable métaphysique sur la mémoire des espèces disparues, Systèmes judiciaires multiversels de Lettie Prell, vertigineuse interrogation sur la justice à l’échelle du multivers et, surtout, un texte inédit de Philip K. Dick, jamais publié auparavant, qui fait de ce volume un événement éditorial à part entière.

En plus de ces fictions, des contributions d’essayistes comme Julien Wacquez, Stephanie Burt ou Colin Milburn font de la science-fiction non pas un genre de divertissement, mais un outil critique, un moyen de penser autrement.

Le multivers dans la science-fiction

Le multivers, ou cette idée qu’il existe une infinité d’univers parallèles dans lesquels chaque choix, chaque événement engendre une nouvelle réalité, est l’un des motifs les plus fascinants et les plus féconds de la science-fiction.

Popularisé dès les années 1950 par Philip K. Dick, Michael Moorcock ou encore Isaac Asimov, il a permis aux auteurs d’explorer non seulement la diversité des mondes, mais aussi la multiplicité des identités, des destins et des perceptions du réel.

Dans les années 2000, le concept a connu un regain spectaculaire, nourri par la physique quantique autant que par la culture populaire. Il devient alors une métaphore de notre époque, celle d’un monde éclaté, aux vérités multiples et aux réalités instables.

Multiversalités s’inscrit pleinement dans cette tradition tout en la réinventant : ici, le multivers n’est pas seulement un décor narratif, mais un principe de lecture et de pensée. Chaque texte du recueil semble provenir d’un univers parallèle, et c’est aux lecteurs et lectrices de naviguer entre ces mondes possibles, de recomposer sa propre carte du réel.

Le projet éditorial de L’Œil d’or

Avec Multiversalités, la maison d’édition L’Œil d’or poursuit une ambition rare : penser la littérature comme une pratique de recherche. Fidèle à sa ligne éditoriale, elle s’attache à publier des textes qui questionnent les formes de savoir, d’art et de société.

Ce projet collectif s’inscrit dans une volonté de décloisonner les disciplines : la fiction devient un champ d’expérimentation pour la philosophie, la théorie sociale ou les sciences. En réunissant auteurs de science-fiction et chercheurs, Multiversalités brouille les frontières entre le spéculatif et le conceptuel, entre le récit et la pensée critique.

On comprend ici le rôle de l’éditeur comme curateur d’expériences intellectuelles, plutôt que simple diffuseur de textes.

Une critique en mouvement, entre pensée et imaginaire

L’une des grandes réussites du volume réside dans sa respiration alternée entre fiction et analyse. Cette dynamique de lecture empêche toute forme de passivité : chaque nouvelle réveille l’imaginaire, et chaque essai en déploie la portée théorique.

Chez Eric Brown, la fin du monde devient méditation sur la mémoire et la survie symbolique. Chez Lettie Prell, la spéculation juridique devient vertige ontologique. Ces récits, d’une densité rare, donnent chair aux dilemmes métaphysiques contemporains.

Les textes critiques, eux, ne se contentent pas de commenter. Ils prolongent la fiction, la réinventent. Julien Wacquez, en particulier, rappelle que la science-fiction est une pratique du trouble : elle dérange nos cadres de pensée, propose des hypothèses et nous force à imaginer le réel autrement.

Le livre agit alors comme une machine à penser, une constellation où chaque texte fait écho à l’autre. La lecture devient un parcours d’interférences, un multivers intellectuel.

Multiversalités est bien plus qu’un recueil : c’est une expérience réflexive et sensorielle, un ouvrage qui repense la fonction même de la science-fiction. En tissant ensemble la rigueur de l’essai et la liberté du récit, il ouvre un espace où la pensée se laisse contaminer par l’imaginaire.

Un livre à offrir à celles et ceux qui croient que la littérature n’a pas seulement pour mission de raconter des mondes, mais de nous apprendre à les penser.

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