Rencontre avec luvan !

Des livres voltés à ses multiples expérimentations artistiques, luvan a marqué et continue d’impressionner les imaginaires francophones et d’autres phonies. Artiste dans l’âme et dans sa chair, elle est là où le collectif importe, se tenant à la frontière de plusieurs mondes poétiques. luvan continue de performer partout où le besoin se fait ressentir. Les Mille Mondes vous propose une conversation avec luvan. Allons à sa rencontre.

Les Mille Mondes : Pouvez-vous vous présenter à nos lectrices et lecteurs ?1

Je suis luvan. Mes matières de prédilection, ce sont les mots et les sons. L’écriture est mon boulot, c’est ce que je travaille le plus souvent, depuis le plus longtemps. Mon « art » en somme, sorte de calligraphie-sacerdoce. Le geste qui m’importe le plus et que je cherche à parfaire, casser, réinventer, parfaire, etc. Ce besoin de réapprendre et d’oublier m’accompagne depuis mes premières publications (2001). Le son, j’y suis moins fidèle. J’ai moins d’heures de pratique aussi. C’est plus chronophage et moins apaisant. Je suis également traductrice, mais idem, de façon moins régulière. Il m’arrive aussi d’inventer des manières de « performer » mes textes sur scène, seule ou en collaboration, et de faciliter des ateliers d’écriture. On a souvent qualifié mes textes d’OLNI, de neo-weird, d’inclassables, etc. L’originalité – pour choisir un mot ornithorynque-plat – n’est pas mon intention, mais je comprends qu’on me la prête. Je cherche la manière la plus honnête et véridique de partager des émotions, et cette recherche exige souvent (de moi, je ne parle que pour moi) une forme radicale d’émancipation. Une sorte de tabula rasa sanitaire. Je me dis parfois que j’ai choisi la solution de facilité, qu’il est bien plus difficile d’atteindre la vérité par des voies empruntées. Par ailleurs, je sais m’inscrire dans un continuum d’auteur·ices chercheur·euses. Je ne suis pas hors sol ni ne cherche à l’être, même si – j’en reparlerai plus bas – je lis assez peu. Enfin, la camaraderie et le collectif importent beaucoup pour moi. J’écris fréquemment avec (= dans le même espace virtuel) Laurent Kloetzer, Léo Henry et Li-Cam. Je collabore fréquemment avec des artistes de toute discipline. J’appartiens, en Allemagne, à plusieurs groupes d’écriture irl. Je fais (ou j’ai fait) partie de plusieurs collectifs (Moniek, Zanzibar, le tout nouveau Ratapià). Je ne souhaite pas la compétition, mais le partage, l’émulation, l’enthousiasme qui déborde, irrigue, les savoir-faire contagieux.

LMM : Quelles motivations ou quels désirs créatifs vous ont amené à choisir l’imaginaire comme terrain d’écriture ?

luvan : En fait, c’est un coup de chance provoqué. Enfant et adolescente, je dévorais tous les livres de SFFF qui me tombaient sous la main. Il n’y en avait pas tant que ça, je n’ai pas grandi autour de grands centres urbains, les Fleuve Noir Anticipation des buralistes m’ont sauvé la vie. En revanche – c’est la première fois que j’y réfléchis –  les vidéoclubs étaient très bien achalandés ! Au lycée, je faisais partie d’un club de science-fiction. On commandait des VHS NTSC d’import, qu’on regardait dans la cave des parents du président de l’asso, détenteur d’un magnétoscope multizone, très onéreux. On faisait du jeu de rôle aussi. On a organisé, à Nouméa, une nuit du cinéma mémorable. Très Stranger Things quand j’y pense. Donc voilà, je me suis constituée nerd. Pourtant, j’écrivais de la poésie lyrique, des textes que je rapprocherais maintenant du nature writing. Mon premier roman (inachevé) était un récit d’exploration arctique. J’ai réécrit la Genèse en vers – comme si… enfin, bref. J’entamais beaucoup de textes, j’essayais beaucoup. Mais jamais dans mon genre de prédilection. Et puis, vers la fin de mes études, une de mes meilleures amies a attiré mon attention sur les appels à texte des éditions de l’Oxymore, qui publiaient des revues et anthologies SFFF à thème. J’y ai répondu. Coup de foudre mutuel, perfect match. Ça faisait tellement sens !

Cru - luvan -Dystopia éditions
Cru – luvan -Dystopia éditions

LMM : Comment a commencé votre histoire avec les éditions La Volte ?

luvan : J’ai rencontré Mathias Echenay lors d’une séance de dédicaces à la librairie Scylla, siège de l’association Dystopia, qui venait de sortir Cru, mon premier recueil de nouvelles (reprenant une partie de mes textes publiés par l’Oxymore) par l’entremise de Léo Henry. Mathias cherchait à élargir son catalogue et j’avais précisément un projet de roman sur le feu (sans jeu de mots, il s’agissait de mon roman polyphonique et volcanique Susto). À cette époque, Dystopia ne souhaitait pas publier de romans. J’ai fait lire à Mathias une version intermédiaire de Susto, qu’il a beaucoup aimé. Réciproquement, j’ai apprécié la manière dont nous avons travaillé ensemble sur ce livre. Depuis, même s’il ne me suit pas sur chaque projet, nous collaborons régulièrement. Je suis très attachée à notre relation, professionnelle comme amicale. Parallèlement, je continue de publier chez Dystopia (et son spin-off Scylla).

Susto - luvan - La Volte
Susto – luvan – La Volte

LMM : Comment qualifieriez-vous votre style d’écriture ?

luvan : J’ai beaucoup de mal à le faire. Je n’ai pas étudié la littérature. Les expert·es en parlent bien mieux que moi. Pour ne citer que quelques exemples : Marc Ang-Cho (Les chroniques du chroniqueur), Héloïse Brézillon, qui fait le lien entre mes deux boulots dans cet article de la revue ReS Futurae, Azélie Fayolle (sa chaîne YouTube Un grain de lettres), qui offre un commentaire remarquable de Nout dans son nouvel ouvrage, Hugues Robert (de la librairie Charybde), le blog Weirdaholic, etc.

LMM : Quelles sont les inspirations qui vous ont amené à écrire Nout ?

luvan : Votre question m’a donné envie de rouvrir mon fichier « Dossier CNL » pour y retrouver les inspirations que j’y citais. Les voici :

  • Aniara,Harry Martinson
  • Créateur d’étoiles, Olaf Stapledon
  • Devant L’Immense, Rebecca Elson
  • Galápagos, Kurt Vonnegut Jr.
  • La Vallée de l’éternel Retour, Ursula K. Le Guin
  • Perfidia et Around the Edge of Encircling Lake, Sky Hopinka (en)
  • Printemps silencieux, Rachel Carson
  • Science and Other Poems, Alison Hawthorne Deming (en)
  • Semiosis, Sue Burke
  • Solaris, Stanislas Lem
  • Station Eleven, Emily St. John Mandel
  • Things That Are, Amy Leach (en)
  • Traité du Tout-monde, Édouard Glissant
  • Universe, Ron Silliman (en)
  • Valis, Philip K. Dick
  • L’œuvre poétique de Ursula K. Le Guin
  • L’œuvre poétique de Thomas Disch

Pour mes motivations, je vous renvoie à cet interview mené par Marc Ang-Cho.

Derniers poèmes - Ursula K. Le Guin - Aux forges de Vulcain
Derniers poèmes – Ursula K. Le Guin – Aux forges de Vulcain

LMM : Envisagez-vous de nouvelles créations à venir liées à l’univers de Nout ?

luvan : Au printemps 2026, si tout se passe bien, la compositrice Valérie Leclerq commencera son travail de création musicale. Si nous obtenons le financement nécessaire, je la rejoindrai à deux reprises à Bruxelles pour bosser, entre autres, sur une version performée.

Après lecture de la chronique de Marc Ang-Cho, j’ai eu envie d’imaginer un jeu de rôle cosmique décentrant basé sur les Descendantes. Mais je ne sais pas si j’aurai du temps à y consacrer ni si cette entreprise sera solitaire.

LMM : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre travail avec Valérie Leclercq, qui a composé la musique de votre œuvre Nout ?

luvan : Pour le moment, Valérie a proposé quelques esquisses de mélodies, car il était important pour moi de faire entendre Nout, dans le livre, aux personnes sachant lire les notes. Le gros du boulot reste à faire (cf. question précédente). Nous n’avons pas encore établi de protocole de collaboration. Pour l’instant, il s’agit plutôt d’une carte blanche, avec une intervention marginale (peut-être pas dans son impact, mais en tout cas dans son déroulement) de ma part.

Nout - luvan - La Volte
Nout – luvan – La Volte

LMM : Dans le cadre de l’écriture de Nout, vous avez collaboré avec l’astrophysicien Sean Raymond ainsi qu’avec les chercheuses Anne-Caroline Prévost et Juliette Langlois, quels enseignements tirez-vous de ces échanges ?

luvan : J’en profite pour un ERRATUM, désolée. J’ai vérifié à plusieurs reprises l’orthographe avant la validation du BAT, mais ma dyslexie a gagné ! Il s’agit de Anne-Carole Prévot et Juliette Langlais. Je m’en veux terriblement de ces erreurs lamentables. Là aussi, je vous invite à lire l’interview mené par Marc Ang-Cho. Je ne pense pas pouvoir y répondre mieux.

LMM : Quelles ont été les inspirations derrière la couverture de Nout ? Comment vous est venue l’idée de vous appuyer sur l’œuvre de Robert Stawell Ball, Drawing of the comet C/1874 H1 (Coggia), as seen on June 10th and July 9th, 1874 ?

luvan : Je cherchais un visuel qui ouvre l’imagination, déboussole, intrigue. Qui ne soit ni purement scientifique ni associé à une culture humaine spécifique – en particulier pas occidentale. Je ne voulais pas non plus évoquer l’espace, car Nout parle également d’évolution, de spiritualité, de poésie et de musique. J’ai d’abord cherché des œuvres d’art abstrait composées par des artistes d’Afrique, d’Asie, du Moyen-Orient, d’Océanie… Des représentations inhabituelles de constellations. Mais ce n’était jamais assez neutre, toujours enfermant. J’ai pensé à des partitions, des symboles, mais c’était encore trop humain. J’ai alors épluché les sites d’images scientifiques à la recherche de mots énigmatiques, susceptibles d’évoque le trouble, le vertige, sans orienter la pensée. J’étais plutôt à l’affût de micrographes. Lorsque j’ai vu cette double comète (en fait, il s’agit de la même représentée deux fois sur la même planche), ça m’a simultanément évoqué des spores, des fantômes japonais et des comètes. Je me suis dit « bingo » ! J’ai eu ensuite l’idée d’ajouter à cette image un effet cyanotype – fréquemment utilisé pour imprimer les herbiers – afin d’ajouter une sorte de confusion poétique et le tour était joué. Le reste, c’est la magie de Zariel. Rien que pour vos yeux, voici mes deux autres propositions, que je trouvais moins convaincantes. Heureusement, c’était aussi de l’avis de mon éditeur. (un tableau de Hilma af Klint et un fragment de météorite).

Nout - luvan - Couverture alternative 1
Nout – luvan – Une couverture alternative inspirée par une oeuvre de l’artiste Hilma af Klint
Nout luvan Couverture alternative 2
Nout – luvan – Une deuxième couverture alternative (fragment de météorite)

LMM : Avec votre parcours et vos nombreuses créations dans le champ de l’imaginaire, vous avez exploré une grande diversité de concepts et de thématiques. Si vous aviez l’occasion, ici et maintenant, de remercier ou de rendre hommage à certaines personnes qui ont marqué votre début de vie, lesquelles choisiriez-vous, et pour quelles raisons ?

luvan : Mes centres d’intérêt ont assez peu à voir avec mes rencontres. C’est plutôt l’inverse qui s’est produit, en réalité. J’ai activement cherché les personnes susceptibles d’enrichir mes connaissances dans les domaines qui me passionnaient. C’est toujours le cas d’ailleurs. Et si je suis reconnaissante envers les personnes qui m’ont encouragée à écrire lorsque j’étais enfant – j’ai eu une famille et des profs formidables – je crois que je serais de toute manière devenue autrice. En revanche, je suis inspirée chaque jour par des œuvres d’arts, compositions, films, ouvrages… de personnes que je ne rencontrerai jamais et fortifiée dans mon activité par les personnes – qu’elles soient artistes ou non – qui m’entourent, en particulier – mais pas seulement – lorsque nous collaborons.

LMM : Écrire en collectif est aussi une forme de résistance à l’impératif de l’individualisme et au repli sur soi. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos expériences d’écriture en collectif ?

luvan : Par le passé, j’ai beaucoup écrit avec Léo Henry. Peux-être nous y remettrons-nous un jour ! C’était fluide et sans histoire, j’ai envie de dire. Quasiment comme écrire seule, mais en mieux. Nous avons des univers connexes – voire se chevauchant – des approches complémentaires, des sensibilités compatibles. Nous n’avons jamais dû faire d’effort spécifique de coordination ni poser de protocole compliqué. Avec Li-Cam, Ketty Stewart et Michael Roch, nous avons écrit une nouvelle postapo complètement foutraque sous un pseudo encore plus dingue (Lucame Rochwart, de mémoire), mais je ne suis pas sûre qu’elle soit lisible, ha ha ! Le processus était très ludique, mais hyperconcerté. J’ai écrit un court texte-patchwork sur un coin de table avec Sabrina Calvo, dont je suis assez fière, sous le pseudo de Petra Rabiznaz (Zanzibar à l’envers). Ce que je trouve le plus intéressant dans cette démarche, c’est de renoncer à sa propriété sur les mots. Écrire à plusieurs de manière individuellement anonyme (personne ne sait quelle phrase, quelle idée vient de qui, souvent, on en arrive même à l’oublier soi-même), c’est dire au monde : je t’emprunte, je te rends. Pour moi, ce n’est pas de l’humilité, c’est juste du réalisme. J’anime également des ateliers d’écriture, auxquels je participe toujours. C’est une autre forme d’écriture collective, plus directive, que j’affectionne particulièrement. La concentration d’un groupe, la qualité d’un silence construit à plusieurs… Et constater, au moment du partage, les myriades d’affinités ! C’est presque magique (j’ai entendu un auteur-animateur déclarer, en introduction que, pour lui, c’était de l’ordre du religieux). J’aime également participer à des ateliers dirigés par d’autres, car ils me permettent de m’aventurer dans des espaces que je n’investirais jamais seule. Donc un grand oui à l’écriture collective, même – surtout ? – si elle ne découle sur aucune publication. Il y a tellement à inventer !

Léo Henry - L'Eveil du Palazzo - Le Bélial'
Léo Henry – L’Eveil du Palazzo – Le Bélial’

LMM : Entre Splines, Agrapha, Susto, les ouvrages collectifs et Nout, quelles sont, selon vous, les ressemblances et les différences les plus marquantes ? Et quels sont vos ressentis à l’égard de votre bibliographie « voltée » ?

luvan : C’est une très belle question. Je tente souvent d’y répondre pour moi-même, puis me défends de le faire. J’aime l’idée de me surprendre, mais je déteste celle d’avoir des « tics » irréfléchis (même si je ne crois pas qu’il soit possible d’y échapper). Si je contrôlais tout, écrire ne m’intéresserait pas autant. J’ai participé à un atelier performatif de l’artiste neneh noï. Iel énonçait deux précautions à prendre avant de se lancer, selon qu’on a ou non l’habitude d’une nouvelle pratique : la prise de risque consciente (dans le second cas) ou le choix informé (dans le premier). J’ai l’impression, à chaque nouveau projet, de balancer entre ces deux principes. Je risque tout et j’avance avec la prudence de l’expertise. Je dirais même qu’à chaque nouveau projet, je risque plus, mais je sais mieux faire. J’ai toujours l’impression de marcher sur un fil, mais selon l’endroit du projet où je me trouve, c’est un fil dentaire ou un câble en acier, puis de nouveau un fil dentaire, etc. Bon, sans compter les projets fil barbelé ou fil tout court, mais là, c’est rare que je les mène au bout, je n’aime pas la souffrance pour la souffrance. Je pense que ce qui unit ces projets que La Volte a accepté d’accompagner, c’est plusieurs recherches parallèles : comment générer une impression de déplacement, de vertige, d’étrangement ; comment ménager des fentes dans les murs ; comment essayer de faire entendre (effort voué à l’échec, mais entrepris dans la joie) toutes les voix du monde. Mais il faudrait demander à Mathias. C’est peut-être lui, sa recherche personnelle, qui les unit.

Tyst - luvan - Scylla
Tyst – luvan – Scylla

LMM : Quelles autres œuvres littéraires avez-vous créées ? Et que considérez-vous comme les principaux héritages de vos expériences d’écriture ?

luvan : Chez Dystopia/Scylla, les recueils Cru et Few of Us ainsi que le roman TysT. Chez Maelström, la novella Le Chevalier rouge et le recueil de poèmes Koimesis. Et puis tout plein de nouvelles. Je travaille régulièrement, à l’écriture, pour des compagnies théâtrales, chorégraphiques, musicales… Je ne sais franchement pas quel sera mon héritage ni même s’il y en aura. Certaines œuvres sont seulement signifiantes dans un espace-temps donné.

Koimesis - luvan - MaelstrÖm
Koimesis – luvan – MaelstrÖm

LMM : Pour éveiller la curiosité des lectrices et lecteurs, pourriez-vous nous en dire davantage sur votre contribution au recueil de nouvelles Arborescences, paru chez l’Asiathèque en 2024, et plus particulièrement sur votre nouvelle Marginalia ?

luvan : Ce texte de commande, que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire, devait répondre à une nouvelle chinoise que je qualifierais de post-pulp. Anticoloniale en mode Le nom du monde est forêt mais en plus mutin, avec un vrai axe « choc culturel ». J’ai voulu m’inscrire dans cet univers large (les Solariens colonisent des mondes) mais en me projetant dans le futur, une fois le stade impérialiste dépassé et celui d’une exploration spatiale juste, à la Star Trek, atteinte. Dans ce contexte, traiter le choc culturel non comme une rencontre entre des colons obtus et des populations locales qui feignent la soumission, mais comme le désamour et la dissemblance croissant entre la population de la planète mère et les populations de colons. La violence entre puissance coloniale et peuple colonisé (et sa juste rétribution) se transforme dans Marginalia en une violence normalisatrice et aveugle entre un pouvoir central rigide et une communauté périphérique fluide, ouverte au changement (littéralement : Marginalia cause de mutations). Métaphore s’il en est ! Non que je rechignais à parler de colonisation, mais j’estimais que l’autrice chinoise l’avait fait à merveille, donc j’avais envie d’élargir. Le changement, l’hospitalité, les marges et le pacifisme radical sont au cœur de cette nouvelle.
 

Arborescences - L'Asiathèque
Arborescences – L’Asiathèque

LMM : Vous avez séjourné dans plusieurs pays à travers le monde : que retenez-vous des imaginaires des cultures que vous avez côtoyées au quotidien, ou même simplement croisées lors de vos voyages ?

luvan : Ouille ! Je crois que je ne sais pas répondre à cette question. Si on me demande précisément, au sujet d’un de mes textes « qu’est-ce qui t’a donné l’idée de…» j’espère pouvoir répondre, mais je n’en suis pas certaine. J’ai toujours vécu « hors de France » dans une famille aux multiples origines. Je ne saurais pas définir quelque chose qui serait une sorte d’imaginaire « noyau central » sur lequel viendrait sédimenter des strates successives d’imaginaires « périphériques ». Non, vraiment, je ramasse tout depuis ma naissance – et probablement avant, puisqu’on entendrait in utero. Je ne sais pas où je finis et où commencent les histoires.

LMM : Si je vous dis « les mille mondes de l’imaginaire », qu’est-ce que cela vous inspire ?

luvan : Plein de choses ! 1000 c’est peu. 1000 c’est magique. 1000 c’est binaire. Mondes : oui, voilà ce que nous pouvons être : des ouvroirs de mondes. Des portes, fenêtres ou meurtrières, c’est notre choix ou plutôt responsabilité consciente. On peut entrebâiller, provoquer à l’inverse une surcharge chamanique d’aperçus d’étranges. On peut soit peindre soit raconter un monde, soit le bâtir, soit l’habiter et le laisser habiter. 1000 mondes, c’est aussi 1000 langues, Babels impossibles à abattre, auxquelles grimper, desquelles s’élancer vers d’autres, aider les langues à nous codéfinir (comme on parle de coévolution entre deux espèces). Puis monde du silence : 1000 mondes, ce sont toutes les biodiversités, connues, inconnues, fantasques, réalisables ou souhaitables. On peut inviter, accueillir, partager un monde, plusieurs. Accepter ses mutations. On peut être dans le monde, savoir qu’il n’y en a qu’un, ou bien au contraire envisager, à chaque seconde simultanément, la valse des possibles. Et puis notre petit monde, car il existe, ce village de la SFFF francophone, et j’aime bien, de temps en temps, même si j’habite un autre espace linguistique, planter ma tente dans son camping municipal.

LMM : Quels sont vos prochains projets ?

luvan : En fait, j’ai la tête qui tourne en y pensant. À la demande de Xavier Vernet, je vais m’attabler à un « TysT 2 », qui, je l’espère, sera illustré par l’animateur Jérôme Boulbès, avec lequel j’ai déjà travaillé (on a coréalisé ce court métrage : Naxos – Ghost World V). J’ai entamé une collaboration avec le musicien Laurent Pernice (de la dark ambient ASMR en langue allemande). J’écris une novella de prospective pour l’Échelle inconnue, à Rouen. J’entame un nouveau projet (campé dans la matière de Bretagne) avec la compagnie Rebonds d’Histoire (pour laquelle j’ai déjà écrit Troi(e)s, Les Runes d’Odin et Minos). Une fois ces projets terminés, je bosserai sur un fanzine de Folk Horror avec le britannique et horrifique Steve Toase. Si tout se passe bien, j’animerai des ateliers poétiques à Bordeaux et, si tout va encore mieux, je réaliserai une œuvre in situ sur le campus, intitulée Miroloï. Parallèlement à tout cela, je fais mes sacro-saintes recherches (encore plus costaudes que les précédentes) pour mon prochain « gros bouquin sérieux ». L’écriture est mon gagne-pain. Toute la difficulté est d’alterner entre projets de recherche personnelle (fauchés) et projets financés.

LMM : Quelle place accordez-vous à la réception de vos livres par le public ? Et quels moments marquants retenez-vous de ces rencontres ?

luvan : Comme je vis loin de mon espace linguistique, je n’ai pas souvent l’occasion de rencontrer mes lecteur·ices, et c’est toujours un plaisir délicieux. J’adore connaître les fulgurances, les idées parasites, les images fantômes, souvenirs et désirs que génèrent mes textes. Savoir ce qui prolonge mes mots dans d’autres psychés, puisque mes mots germent, de la même manière, d’autres psychés qu’elles prolongent. Je n’échappe pas à la sensation de vase clos commune aux gens de l’écrit. Et j’adore quand elle s’avère infondée. Pour moi, un des plus magnifiques prolongements qu’il m’a été donné de vivre (je suis sûre qu’il y en a d’autres, tout aussi magnifiques, dont je n’aurai jamais connaissance), c’est la façon dont les bénévoles de l’abbaye de Beauport se sont emparées d’Agrapha pour en faire une série de lectures intimistes à huit voix. Oui, c’est de vous dont je parle, Brigitte Cloarec, Danielle Coadou, Babeth Coste de Geyer, Josette Flot, Marie-Paule Le Pourhiet, Cécile Marion, Françoise Rouland, Maïa Thibault, Emmanuelle Trocheris et Françoise Villette ! (wink Floriane Pochon, Françoise Lemoine et Floriane Benjamin). Pour en savoir plus, c’est par ici.

La forêt barbelée - Gabrielle Filteau-Chiba
La forêt barbelée – gabrielle filteau-chiba – XYZ éditions

LMM : Avez-vous des conseils de lectures à recommander ?

luvan : Ouille, l’instant book-club tant redouté. Alors voilà, hors recherches documentaires pour mes projets, je lis dorénavant peu et lentement. Et je ne crois pas être très douée pour convaincre. Mes cinq dernières lectures frappantes, hors copain·es, ont été La Forêt barbelée de Gabrielle Filteau-Chiba (poésie, nature writing), L’Argument du Rêve, de Muriel Pic (non-fiction créative), Intiment de Marina Skalova (poésie, récit), Meute, de Noëlle Kröger (roman graphique en allemand, pas sûre qu’il soit traduit), A Bright Green field de Anna Kavan (nouvelles en anglais, non traduites).

LMM : Libre parole, un ou des sujets de votre choix en lien avec la littérature, l’imaginaire, la culture ou autre chose que vous souhaiteriez aborder comme mot de la fin ?

luvan : Juste un petit agenda ; pour les Lyonnais·es, j’ai réalisé une petite installation sonore / vidéo Spectrales qui a été présentée le 9 octobre 2025 à Lyon aux côtés de performances réunissant Li-Cam, Sabrina Calvo et Zéro Gr4vity.

Je serai également présente aux Utopiales, cette année (dans la ville de Nantes, du 30 octobre au 2 novembre). Pour les collectionneur·euses d’imprimés d’art, j’ai fabriqué mon tout premier tirage en lithographie, qu’on peut feuilleter et se procurer ici.

Utopiales 2025 - Affiche - Stéphanie Hans
Utopiales 2025 – Affiche – Illustration de Stéphanie Hans

Pour le reste : restez bizarres et prenez soin les un·es des autres !

Pour une autre actualité récente, vous pouvez retrouver une nouvelle de luvan sur le site Reporterre, qui continue avec brio de nous donner à lire une nouvelle de science-fiction inédite chaque premier samedi du mois. Reporterre a donné carte blanche à des autrices et auteurs pour écrire des textes qui nous transportent vers des futurs écologiques désirables. Les illustrations de chaque nouvelle sont de @Helkarava. La nouvelle de luvan, Celle qui savait écouter les fées vous « invite à une exploration poéticofantastique, dans laquelle des créatures féériques font office de parabole de l’évolution de notre relation aux non-humains. »

Nous remercions chaleureusement luvan d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Nous vous invitons vivement à découvrir son univers et à lire ses œuvres, toutes singulières. luvan ne cesse d’expérimenter et de nous offrir des imaginaires de contre-fatalité. Excellentes lectures !

  1. Photo de couverture par Brice Fontan, en 2024, à la librairie l’Angle Rouge à Douarnenez ↩︎

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