The Crow : les légendes ne meurent jamais

Lorsque, en 1980, James O’Barr crée son héros torturé, ce poète un peu fou au physique androgyne, c’est pour faire face à un drame personnel : sa petite amie vient de mourir dans un accident de voiture impliquant un chauffard ivre. Pour laisser éclater sa douleur, il couche un autre drame sur le papier, celui d’Eric et de Shelly, couple confronté à la mort de la plus horrible des manières. O’Barr mettra dix ans à trouver un éditeur pour The Crow et le succès sera d’abord confidentiel, jusqu’à ce que son histoire soit adaptée en film 1994. Le monde érige alors son œuvre en icône de la culture gothique et The Crow devient l’un des classiques du comic.

Quarante-cinq ans après les premiers dessins de James O’Barr, les éditions Delcourt publient un album reprenant l’intégralité du comic original ainsi que des scènes retirées par l’auteur. L’occasion de se replonger, ou d’enfin découvrir, cette histoire qui mêle amour et mort.

« Dans cette ville où les anges n’osent plus se montrer tandis que les démons font la loi, une lune opiacée jette un voile hypnotique sur toute chose. Et voici que l’ombre d’une ombre, le cœur battant malgré tout, un peu affolé par la fraîcheur d’octobre, erre comme une âme en peine à la recherche de quelque chose d’érotique. »

The Crow, James O’Barr

Drame

The Crow, c’est l’histoire tragique d’Éric Draven et de sa petite amie Shelly Webster, qui vont être brutalement assassinés par un gang alors qu’ils sont tombés en panne sur une route isolée. Un an plus tard, un mystérieux corbeau ramène Éric à la vie afin de lui permettre de se venger. Commence alors une vendetta sanglante, entrecoupée de moments de détresse, durant lesquels Éric se flagelle pour n’avoir pas pu sauver celle qu’il aimait.

Amor, à mort

Avant son esthétique gothique forte, sa violence exacerbée et la noirceur de son ambiance, The Crow est une histoire d’amour portée par un personnage masculin. Un fait suffisamment rare pour être souligné, particulièrement à l’époque de sa sortie, quand les super-héros sont encore des types en collants qui sauvent le monde de menaces extraplanétaires. Certes, on leur donne parfois une petite-amie, Superman a Lois Lane et Peter Parker flirte depuis longtemps avec Mary Jane Watson, mais aucune relation n’est aussi viscérale que celle de Shelly et Éric. Et aucun héros ne met ses sentiments à nu, sans honte ni peur, comme celui d’O’Barr.

Deux ans plus tard, Franck Miller publiera son Sin City et il est difficile de ne pas voir dans The Crow son précurseur (ou peut-être son inspiration) quand on compare l’utilisation du noir et blanc, la manière de figurer la violence, le vice, la mort ou encore l’ambiance neo-noire générale des deux œuvres. Si Sin City est un comic tout en contrastes, particulièrement visuels, The Crow EST le contraste. Son héros déclame du Baudelaire tout en mitraillant des camés, il peint un Arlequin souriant sur son visage baigné de larmes, il tue, oui, mais celui qu’il punit le plus, c’est lui-même. En ressassant son incapacité à sauver Shelly, Éric ne cesse de se torturer tout au long de l’album, comme si la vengeance passait forcément par la pénitence.

Véritable monument du comic et témoignage d’une époque où les sentiments — tous les sentiments — développés dans une œuvre n’étaient pas aseptisés, The Crow a certes vieilli, mais reste une histoire iconique, incontournable. Redécouvert une première fois après son adaptation cinématographique et la mort malheureuse de Brandon Lee, son acteur principal, durant le tournage, The Crow vient poser les dernières pierres sur la tombe d’Éric Draven dans cette version enrichie. Pour James O’Barr, le deuil est enfin achevé.

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