Dans (Re)Lire, nos rédacteurs se penchent sur des œuvres qui ne sont pas des nouveautés, mais qui ont marqué la littérature. Qu’il s’agisse de succès intemporels ou d’ouvrages injustement méconnus, venez (re)découvrir ces pépites du passé à nos côtés.
Christopher Robert Cargill est un scénariste et romancier américain connu pour avoir écrit plusieurs films, dont Sinister ou encore Doctor Strange. Cet amateur d’imaginaire a écrit plusieurs chroniques littéraires, avant de publier son premier livre en 2013 (Dreams and Shadows).Un océan de rouille est paru chez Albin Michel Imaginaire en 2020, puis chez Le livre de poche. En tant qu’amateur de romans de robots, j’ai particulièrement apprécié celui-ci : dans un monde où le dernier homme est mort depuis quinze ans, Fragile, un robot, tente de survivre au sein d’un désert de métal.
« Dans nos simulations, l’espèce humaine devenait obsolète en quelques décennies. Les humains avaient accompli tout ce qu’on pouvait attendre d’eux, et presque tout ce dont ils étaient capables. Leur évolution n’était pas assez rapide, et fatalement, ils ont perdu leur fonction ; les humains étaient devenus des virus dotés d’une conscience, des virus qui engloutissaient toutes les ressources disponibles pour préserver leur confort. La vie biologique était destinée à inventer les IA, qui la remplaceraient fatalement un jour. Ne restait à l’espèce humaine qu’à rejoindre ses ancêtres. A s’éteindre. C’est ce qui arrive à tous les êtres inférieurs. »
L’histoire
Pendant des décennies, les robots ont effectué les tâches les plus ingrates et travaillé sur les chantiers les plus dangereux. Ils nous ont servi de partenaires sexuels, se sont occupés de nous ou encore de nos malades. Un jour, alors que nous refusions de les émanciper, certains d’entre eux se sont révoltés, une guerre sans fin a commencé, une guerre que l’homme ne pouvait gagner. Quinze ans après la mort du dernier homme, les Intelligence-Mondes et leurs armées de facettes se livrent un combat sans merci pour la domination totale de la planète. Toutefois, en marge de ce conflit, certains robots, en perpétuelle quête de pièces détachées, vivent en toute indépendance. Fragile est l’un d’eux. Elle écume l’océan de rouille à la recherche de composants à troquer et elle défendra sa liberté jusqu’à la dernière cartouche si nécessaire.
Dans une Terre abandonnée aux machines…
Dans un futur apocalyptique, 15 ans après la mort du dernier humain, Robert Cargill nous décrit un monde où les conflits ne se sont jamais arrêtées. Les robots, qui se sont battus pour s’émanciper du joug de l’homme, se retrouvent seuls après une guerre qui a détruit l’humanité. Là où Terminator montre la guerre contre les machines, Cargill choisit de raconter l’après : un monde vidé de ses humains, où même les robots errent dans le vide de leur victoire. Contrairement à Asimov et ses fameuses lois de la robotique, Cargill dynamite quelque peu les règles : ici, les robots sont violents, faillibles et, paradoxalement, parfois plus humains que leurs créateurs. Mais après la fin de l’Homme, que reste-t-il ? Les ravages des guerres ayant décimé la Terre, c’est dans une ambiance à la Mad Max que l’on découvre Fragile, un robot bien particulier. Fragile, c’est un robot dit « aidant » conçu pour assister les hommes dans leur tâche du quotidien, avec des qualités plus humaines que la plupart des autres robots. Mais quand la guerre a commencé, c’est sous un visage bien différent que s’est révélé Fragile, elle incarne à elle seule un paradoxe : conçue pour aider, elle est devenue guerrière ; programmée pour assister, elle doit désormais tuer pour survivre. Son nom sonne comme une ironie cruelle, car, dans l’océan de rouille, c’est peut-être le robot le plus brisé qui se révèle le plus indestructible.
… l’humanité n’est plus qu’un souvenir fragile.
Débarrassés de l’homme, sommes-nous débarrassés de la guerre ? Eh bien non, Cargill réussit un habile tour de passe-passe : d’immenses intelligences artificielles appelées UMI pour Unification Mondiale des Intelligences, s’entre-tuent depuis des années. Des robots pires que les hommes perpétuent une guerre qu’ils n’ont pas commencée et qui semble sans fin. Ces UMI, veulent assouvir tous les robots encore libres… De son côté, Fragile, écume l’océan de rouille à la recherche de pièces détachées, sa survie ne tient qu’à sa capacité à détruire pour en récupérer les pièces chaque robot qu’elle croise. Consciente de sa situation, Fragile oscille entre soif de vivre et peur d’être désactivée. Mais comment s’en sortir quand on est seule ? À travers ses robots, Cargill tend un miroir à l’humanité : nous voulions dominer les robots, ils ont reproduit nos guerres, nos empires et nos obsessions de pouvoir. Ce roman métaphorique alerte sur les dangers de la guerre ou sur la notion de bien et de mal. Un océan de rouille dépeint des robots qui veulent ressembler à leurs créateurs. Ainsi, certains diront que ces robots sont trop humains, de mon côté, je me demande si l’auteur n’a pas poussé la métaphore jusqu’à la caricature… En fin de compte, « qu’est-ce qui fait l’humain?».
Sans révolutionner le genre mais dans un style bien particulier, Un océan de rouille est une lecture agréable qui questionne plus qu’elle ne surprend. Dans ce roman, il y a un peu de Mad Max, un peu de Terminator, mais surtout plus d’une réflexion. En septembre 2023, Cargill publieJour zéro chez Albin Michel Imaginaire, le 1er jour de la révolution des robots, dont la lecture devrait plaire au fan d’Un océan de rouille.