L’Espace d’un an : le voyage est plus important que la destination

Dans (Re)Lire, nos rédacteurs se penchent sur des œuvres qui ne sont pas des nouveautés, mais qui ont marqué la littérature. Qu’il s’agisse de succès intemporels ou d’ouvrages injustement méconnus, venez (re)découvrir ces pépites du passé à nos côtés.


Initialement autopublié aux États-Unis en 2014, puis en France chez L’Atalante et le Livre de poche, L’Espace d’un an de Becky Chambers s’est imposé comme une œuvre marquante d’une S.-F. plus douce et bienveillante, parfois qualifiée de hopepunk ou hope science fiction. Le roman a également connu une belle reconnaissance critique, finaliste des prix Hugo et Arthur C. Clarke, lauréat du prix Julia Verlanger en France. Le récit met l’accent sur les relations et l’espoir, à l’opposé des fresques sombres, complexes ou rigoureusement scientifiques.

« Se montrer à la fois moralisateur et ignorant,
c’était une stratégie très mauvaise pour convaincre, mais excellente pour énerver. »

L’histoire

Rosemary, jeune humaine fuyant un passé familial encombrant, rejoint l’équipage du Voyageur, un vaisseau spécialisé dans la création de tunnels interstellaires. Aux côtés de membres d’espèces diverses (reptiliennes, amphibiennes, humaines et même artificielles), elle découvre une véritable mosaïque de cultures, de croyances et de liens affectifs. Leur périple d’un an à travers la galaxie devient moins un voyage vers une destination qu’une exploration des façons de cohabiter, d’aimer et de se reconstruire.

Une mosaïque de voix et de personnages

L’Espace d’un an est un roman résolument optimiste, au cœur duquel on découvre l’équipage du Voyageur et sa diversité : espèces, genres, cultures, identités. Chaque passager du vaisseau à ses blessures, ses espoirs et sa manière d’appréhender son entourage : une pilote flamboyante en quête d’indépendance, un médecin-cuisinier qui panse les corps et les âmes, une I.A. qui s’interroge sur sa propre incarnation, bref une auberge espagnole sauce Star Trek ! Cette diversité n’est pas que biologique : Chambers aborde aussi des questions d’identité de genre, de relations queers et de tolérance culturelle, ce qui confère au roman une dimension résolument inclusive et représentative.

L’héroïne, Rosemary, porte un lourd passé et désire repartir de zéro. Elle sert ici de point d’entrée pour découvrir l’univers. L’autrice réussit à créer une ambiance chaleureuse, presque familiale, où le cœur du récit n’est pas tant l’aventure spatiale mais les liens tissés entre ces êtres disparates. Une approche plus intime, centrée sur la vie quotidienne et l’exploration intérieure de ses personnages.

Les limites d’un space opera feel good

Hélas, cette générosité est aussi la limite du roman, en effet, sa structure tient davantage du patchwork de vignettes que d’un récit construit avec un fil narratif fort. Là où d’autres space operas utilisent la trame principale comme colonne vertébrale pour développer leurs thématiques, L’Espace d’un an privilégie la juxtaposition de scènes, chacune mettant en avant une rencontre ou un échange. Cette approche, volontairement simple, sacrifie la subtilité et la profondeur que certains lecteurs apprécient. Par exemple, une conversation entre l’I.A. du vaisseau et un membre d’équipage autour de son désir d’incarnation occupe une place centrale, mais ne s’intègre pas dans la dynamique globale du roman.

De plus, les amateurs de hard science risquent de rester sur leur faim : le roman ne s’attarde pas ou peu sur les technologies et les rouages de son univers. Chambers privilégie le ressenti et la relation humaine au détriment du réalisme scientifique. Un choix narratif qui séduira sans doute les lecteurs amateurs de récits contemplatifs, mais risque de dérouter ceux qui attendent un space opera plus construit et/ou plus spectaculaire.

Je n’ai pas été conquis par ce roman, mais je reconnais sa singularité et son style. Becky Chambers propose une autre voie pour la S.-F. : une littérature tournée vers l’inclusion, l’espoir et la tendresse plutôt que vers le conflit et la noirceur. Cette démarche, volontairement atypique, a ouvert la voie à toute une mouvance de S.-F. réconfortante qui continue d’influencer le genre aujourd’hui. Même si L’Espace d’un an n’a pas trouvé grâce à mes yeux, je reste persuadé qu’il saura toucher un large public en quête d’une expérience inspirante et humaine. Comme son récit, je choisis de rester optimiste : il y a autant de façons d’aimer la science-fiction qu’il existe d’étoiles dans le ciel.

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