Sans voix : le pouvoir des mots

Que se passerait-il si la parole disparaissait ? Serait-ce la solution contre le harcèlement, les insultes, le violence verbale sous toutes ses formes ? Et comment communiquer lorsqu’on est réduit au silence ? Des questions qu’explorent Alessandro Atzei et Manuele Morlacco dans Sans voix, une bande dessinée mise en couleur par Lidia Bolognini. Sous les traits d’animaux anthropomorphiques, les personnages y évoluent sur une île où tout le monde a accepté de perdre sa bouche dans l’espoir de mettre fin à la violence verbale. Une œuvre entre fantasy et fantastique, aux très jolis dessins.

« Il n’y a pas si longtemps, la bouche était une arme terrible qui semait la discorde et la peur. Ainsi a-t-on décidé de s’en passer. »

Sans voix, Alessandro Atzei, Manuele Morlacco, Lidia Bolognini

Silencieux

Vingt ans plus tôt, à Mokmok, capitale de sur l’île de Muon, tout le monde avait encore une bouche. Mais, suite à des événements dramatiques causés par des discours haineux, le peuple accepte de renoncer à la parole pour préserver la paix. Désormais, tout le monde ne communique plus que par écran interposé, persuadé que prendre le temps de réfléchir avant d’écrire permet une parole plus mesurée et donc respectueuse.
Dans ce monde silencieux, Awaré fait tache, lui qui a gardé sa bouche pour pouvoir chanter. Un jour, il fait la rencontre de Rebi, une guitariste qui aimerait récupérer la sienne. Une amitié belle et sincère se construit entre les deux jeunes gens, aux personnalités pourtant bien différentes. Aussi, lorsque Awaré apprend que Rebi était autrefois amie avec Moroi, la fille du maire, il décide de les aider à se réconcilier.

Animaux

Sans voix est un album qui a pour lui un univers joyeux et coloré aux dessins absolument adorables, avec un style à la croisée du manga et de la bande dessinée occidentale. Contrairement aux créatures anthropomorphes que l’on peut retrouver dans Beastard ou Blacksad, les personnages sont ici beaucoup plus humains, avec quelques caractéristiques animales discrètes. Leurs attributs animaux sont essentiellement une manière d’introduire les discriminations qui ont mené à la décision collective du peuple de l’île de renoncer à la parole. Ils permettent également de rendre Awaré mignon, puisqu’il partage des similitudes un peu plus marquées avec un panda roux, là où Moroi et Rebi arborent des signes plus discrets de leurs origines aviaires. 

Le thème principal de l’histoire est bien évidemment la communication, et l’on ne peut s’empêcher de dresser des parallèles entre le peuple de Mokmok, qui communique à l’écrit, et notre utilisation quotidienne des téléphones portables pour échanger. Le récit soulève d’ailleurs le fait que le choix de la communication écrite n’a pas totalement annihilé la violence au sein de la société, mais l’a seulement masquée sous une chape de silence. Néanmoins, la comparaison trouve vite ses limites pour nous qui sommes tous régulièrement confrontés à des incivilités et parfois de la brutalité dans les échanges sur les réseaux sociaux. L’écrit à donc du mal à apparaître comme une solution plausible aux problèmes de communication hostile. 

Amitiés

La relation entre Awaré et Rebi est amenée avec de superbes moments de complicité et de compréhension. Sans voix illustre également très bien le temps qui passe et la manière dont il resserre leurs liens. En revanche, les sentiments d’Awaré envers Moroi sont moins bien construits, sans doute parce que, justement, ils ont moins de temps pour s’installer, ce qui leur donne une sensation légèrement artificielle. Néanmoins, les messages principaux sur l’amour, l’amitié, le pardon et l’acceptation de l’autre n’en sont pas moins beaux. 

Si Sans voix soulève quelques intrigues qui ne mènent nulle part (comme les « affaires louches » dans lesquelles le maire aurait trempé), le reproche principal qu’on peut lui faire concerne son dénouement, qui semble précipité, hâtif. Il confronte les personnages à des phénomènes fantastiques incroyables, mais cela semble à peine les étonner et ils ne posent aucune des questions auxquelles nous aimerions avoir des réponses. Tout se règle en quelques pages avec une facilité presque naïve, qui tranche avec la construction que le récit adoptait jusque-là. 

De plus, en choisissant un deus ex machina pour amener leur conclusion, les auteurs créent quelques incohérences (que nous ne pouvons détailler ici sans divulgâcher l’œuvre, mais vous pouvez venir en débattre sur notre Discord). On ne peut malheureusement se départir de la sensation qu’ils ne savaient pas comment conclure leur récit. Bien que les dernières pages se terminent sur une note positive, la sensation générale laissée par les révélations finales est celle d’un manque de développement ou d’une histoire qui s’est voulue trop complexe pour tenir dans un one-shot. Dommage, car si la destination nous a déçus, le voyage, lui, s’est montré plutôt agréable.

Sans voix porte une réflexion intéressante, mais parfois maladroite, sur notre rapport aux écrans et à la communication. Malgré un twist final décevant, l’album s’apprécie pour son univers doux, coloré, particulièrement joli et ses personnages attachants. Peut-être qu’un second tome aurait laissé plus de place aux auteurs pour développer leur propos, néanmoins, son histoire d’amitié feel good et son univers restent intéressants à découvrir.

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