Nout, de luvan

Et si la Terre se libérait de son orbite ? Et si, durant ce moment incertain, l’apocalypse n’avait finalement pas lieu ? Dans une démarche aux multiples intentions, luvan1 a créé un livre-univers mêlant de courts versets en prose, une création théâtrale, une composition musicale, un vibrant hommage à Francesca Cassini et un opéra spatial constitué d’une dérive hybride et optimiste. Habituée des publications de la Volte, cette maison qui n’hésite pas à proposer des œuvres qui sortent des orbites battues, luvan est une autrice protéiforme, à la fois romancière, artisane des mots, artiste et poétesse. Son dernier livre, Nout, est encore une fois une belle singularité au sein des littératures de l’imaginaire, une obligation à l’émerveillement.

« Elles apparurent lorsque Terra Lapsa traversa un nuage d’hydrogène, qu’elle capta et qui demeure à ce jour notre atmosphère. »

La Dérive et la Chute

Quelque part dans le passé, Francesca Caccini2, une compositrice baroque florentine entend des voix. Celles-ci lui murmurent des sons et des mots venant d’un lointain futur où notre Terre se détache de son orbite et commence son errance cosmique. Ces voix apprennent à la musicienne ce qu’il adviendra de l’humanité dans cent millions d’années et au-delà. Nout est un récit unique, un livre dont les mots nous font ressentir la valse des planètes. Après l’expulsion et la Dérive, suivra la Chute.

Un opéra cosmique et spirituel

Pour bâtir cet univers, luvan s’est entretenue avec des astrophysiciennes et des astrophysiciens, tout en puisant dans des traditions spirituelles diverses. Ce croisement nourrit une vision radicalement opposée à l’horreur cosmique d’H. P. Lovecraft3 : là où celui-ci voyait l’espace comme une menace écrasante, luvan y décèle un émerveillement, une dérive positive. Elle refuse également le paradigme conquérant d’Elon Musk – cette pratique qui consiste à « planter un drapeau ». Chez luvan, l’espace n’est ni à coloniser ni à dominer, mais à contempler, et les hybridations à laisser s’adapter aux nouveaux cycles orbitaux de la Terre.

Habituée à donner une dimension sonore à ses œuvres, luvan avait déjà expérimenté cette approche avec son précédent roman Agrapha, accompagné de la création sonore Agraphon, réalisée en collaboration avec Mushin. Pour Nout, elle a choisi de poursuivre cette exploration en invitant la compositrice Valérie Leclercq4 à se joindre à elle. Ensemble, elles tissent une expérience immersive où texte et musique dialoguent, ouvrant un espace cosmique où la narration littéraire se prolonge et se transforme au contact des textures sonores.

« Chose peu probable, la lune suivit Terra Lapsa dans sa Dérive, s’en approcha même. »

Hybridité et errance stellaire

L’univers de Nout regorge de créatures inimaginables, hybrides et féeriques. La Terre devient un astre errant et l’évolution en fait de même. On pourrait évoquer La Terre errante de Liu Cixin pour la dimension cosmique, mais ici, aucun récit n’est centré sur la survie de l’espèce humaine : les voix qui parviennent à Francesca Caccini sont celles des astres eux-mêmes et d’entités non humaines, fruits d’évolutions où la biologie flirte avec l’impossible et l’étrange.

Résultat de plusieurs années de tentatives et de débuts avortés, Nout s’ancre dans une démarche singulière : écrire sur l’espace sans céder au point de vue de l’humanité. Pour ça, luvan s’inspire autant du nature writing5 que de la poésie contemporaine. Sa forme, en versets très courts, multiplie répétitions et mots-pivots, installe des silences – ce ma japonais où le vide devient aussi signifiant que le mot –, et engage même une dimension physique dans l’écriture, comme une respiration, une montée d’escalade ou une séance d’aérobic6.

Avec Nout, luvan7 cherchait à s’affranchir de la vision strictement humaine pour aborder l’espace sous un angle radicalement différent — et le pari est pleinement réussi. On se laisse emporter par la lecture de ces versets courts, à la fois denses et légers, qui distillent des fragments d’intrigue comme autant de soleils dans un voyage sans fin. On partage cette dérive, non pas en simple spectateur, mais en symbiose avec les êtres vivants de la Terre, façonnés par des siècles d’adaptation à cette dérive spatiale. Les différents actes qui structurent l’ouvrage approfondissent et élargissent encore cet univers, lequel dépasse largement le cadre du livre : il devient à la fois pièce de théâtre, partition musicale et expérience sensorielle. L’ensemble forme un objet artistique hybride, où la littérature dialogue avec les arts de la scène et du son.

Merci à la Volte pour ce service presse cosmique !

  1. Le surnom de luvan vient du suédois, le mot désigne le bonnet du tomte, créature du folklore suédois. Le tomte (ou nisse) est comparable au lutin, il peut aider, agacer et changer de forme, luvan donne plus de détails dans son interview sur le blog Un dernier livre avant la fin du monde. ↩︎
  2. Francesca Caccini donne la première de son opéra La liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina à la Villa du Poggio Imperiale de Florence. C’est le premier opéra (connu) composé par une femme, France musique, podcast Musicopolis, 2021. ↩︎
  3. Howard Phillips Lovecraft est un auteur du fantastique et de la littérature horrifique. Nous lui devons notamment le Mythe de Cthulhu. Certaines oeuvres de l’auteur contiennent des propos racistes. France culture propose un podcast en quatre épisodes sur H. P. Lovecraft, luvan mentionne cet auteur dans le podcast Comment j’ai écrit certains de mes livres. ↩︎
  4. Valérie Leclercq est une autrice-compositrice-interprète bruxelloise. Elle a publié six albums sous le pseudonyme Half Asleep. Elle a aussi une carrière académique d’historienne, coprogrammatrice des rendez-vous mensuels de la Cinematek belge consacrés à l’histoire du cinéma LGBTQ+. ↩︎
  5. « Le Nature writing place la nature au cœur du récit, le paysage est sujet. La nature est considérée comme un élément à part entière de l’intrigue et ses aléas rythment le récit, elle peut aussi bien être paradisiaque que d’une rudesse intenable », Julie L., bibliothèque Arthur Rimbaud, sur le site bibliotheques.paris.fr. Ce genre est né aux États-Unis à l’époque de la colonisation du territoire nord-américain. Il s’est depuis répandu dans plusieurs pays et s’est hybridé avec les non-fictions et les fictions. ↩︎
  6. Référence au podcast « Comment j’ai écrit certains de mes livres » animé par Claire Garand avec luvan en invitée. ↩︎
  7. Vers le blog personnel de luvan ↩︎

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