Floriane Soulas est-elle l’Ursula K. Le Guin de la fiction française ? En tous cas, nul ne niera que la jeune autrice parisienne est une touche-à-tout talentueuse, aussi à l’aise en fantasy qu’en science-fiction, et donc chaque récit est une réussite. Après un premier roman à l’univers steampunk, Rouille, sorti en 2018, puis le succès des Noces de la renarde, un récit de fantasy au Japon médiéval paru un an plus tard, elle est venue tutoyer le postapocalyptique dans Tonnerre après les ruines. Bien plus qu’un The Last of Us féminin, ce roman dur et intense nous offre un récit viscéral et profondément humain.
« Le sourire de Lottie s’élargit, ce qui eut pour effet d’étirer la cicatrice qui partait de son oreille pour s’achever quelque part dans son col et formait un boudin plus clair sur sa peau noire. Férale connaissait ce sourire, c’était celui qui la rendait la plus jolie, son mauvais sourire. »
Tonnerre après les ruines, Floriane Soulas, éditions Argyll
Deux femmes
Férale n’a que Lottie, elle est son phare, sa lumière, sa seule amie. Car Férale est différente, avec ses yeux jaunes, ses capacités surhumaines et cette faim dévorante qui ne la quitte jamais. Dans ce futur en ruines arrosé de pluies acides et gangréné par les créatures mutantes, les deux femmes survivent en tant que chasseuses, offrant leur service de protection aux caravanes itinérantes. Jusqu’au jour où Rose, une adolescente, leur demande de l’emmener à Tonnerre, une cité où, dit-on, des chercheurs tentent de guérir les malades et les victimes de mutations. Si Férale y voit l’espoir de comprendre pourquoi elle est différente, Lottie semble étrangement réticente à l’idée de se rendre là-bas. Car la ville est liée à un passé qui la ronge, un passé qu’elle aurait voulu oublier et dont elle n’a jamais parlé à Férale…
Animalité
Tonnerre, c’est cette ville-providence classique des univers en ruine autour de laquelle se cristallisent les peurs, les légendes et les espoirs. Comme New Richmond, dans le Walking Dead de Telltale, ou Polis, « dernier bastion de la civilisation » dans Metro 2033, la cité est décrite comme un lieu de miracles et de haute technologie, mais se révèle être un microcosme où sont reproduits les inégalités, l’autoritarisme et la violence du monde d’avant. Si Floriane Soulas avait là l’occasion de tomber dans la facilité en opposant les « gentils » de la ville-basse aux « méchants » qui contrôlent la technologie, elle choisit de se montrer beaucoup plus nuancée et nous offre une vision brillante des enjeux complexes de la survie dans un monde brisé.
La force de Tonnerre après les ruines, c’est aussi ses personnages tout en nuances. On s’attache très vite au duo formé par Férale et Lottie, à leur relation qui se situe entre la meute et la famille, avec ses règles, mais aussi ses moments d’affection. Néanmoins, aucun personnage n’est accessoire ou cliché dans cette vasque fresque sur la survie. Chacun, avec ses moyens, tente d’exister dans un monde devenu hostile. Ruben et sa ferveur brûlante ou l’inconstant Louka, avec leurs motivations, leur manière de justifier l’injustifiable au nom d’une cause légitime, évoquent une histoire humaine faite d’erreurs et de répétitions.
Pour une première incursion dans le postapocalyptique, Tonnerre après les ruines est une réussite. Le roman déploie habilement son univers et ses personnages, il nous happe, nous fascine, jusqu’à ses dernières lignes. À la fois cru et violent dans son traitement des plus vils aspects de l’être humain, le livre sait aussi se montrer touchant, sensible et profond. Si ses personnages endurent mille souffrances, c’est pour mieux se reconstruire. Jamais manichéenne, la plume de Floriane Soulas dépeint une humanité complexe, qui brise la frontière avec son animalité.
Un roman au rythme exemplaire, puissant, habité par des protagonistes forts, qui offre une aventure très loin des clichés du genre. Après des titres phares comme La Route, Mad Max ou Je suis une légende, le postapo vient de se trouver une nouvelle œuvre de référence.