Avant Lovecraft, il y avait le Grand Dieu Pan

Dans (Re)Lire, nos rédacteurs se penchent sur des œuvres qui ne sont pas des nouveautés, mais qui ont marqué la littérature. Qu’il s’agisse de succès intemporels ou d’ouvrages injustement méconnus, venez (re)découvrir ces pépites du passé à nos côtés.

On le remarque davantage d’année en année : des hordes d’auteurs oubliés de la littérature fantastique et fantasy refont désormais surface dans nos librairies. La raison à cela pourrait être celle d’un simple enchaînement de circonstances et d’un engouement populaire, comme cela a pu être le cas pour l’œuvre de H. P. Lovecraft, mais, en vérité, c’est surtout grâce à l’énorme travail de maisons d’édition désireuses de donner un second souffle à ces oubliés.
Les exemples sont légions, allant de Mnemos et ses Brian Lumley et Clark Ashton Smith, jusqu’à Callidor avec Abraham Merritt, Stella Benson et W. S. Chambers. Et c’est justement au travers de cette dernière maison que l’on a pu découvrir la résurrection éditoriale d’un maître du fantastique anglais : Arthur Machen. C’est désormais l’occasion de relire son plus grand chef-d’œuvre : Le Grand Dieu Pan.

« La vallée était comme aujourd’hui, moi-même à cette même place, lorsque je vis l’inimaginable gouffre qui bâille entre les deux mondes : le monde de l’esprit, et celui de la matière, s’ouvrir devant moi, tandis qu’au même instant un pont de flamme jaillissait entre la terre et la rive inconnue, comme pour mesurer l’abîme.  »

Arthur Machen, Le Grand Dieu Pan

Le Grand Dieu Pan

Inspiration majeure de Lovecraft, cet auteur du début du xixe siècle a su s’imposer comme une référence du genre grâce à une prose subtile et maîtrisée, et à son amour pour l’ésotérisme. De la nouvelle Le Grand Dieu Pan jusqu’à L’Histoire du cachet noir, l’écriture de Machen montre plusieurs qualités qui ont trop souvent manqué aux prétendus « auteurs cultes » qu’on nous survend régulièrement : 

D’abord, un travail soigné de ses personnages comme de ses effets de style, accompagné d’un rythme soutenu qui ne trahit pas son âge. La lecture des nouvelles de ce recueil se fait avec un véritable plaisir non dissimulé, et ce, malgré la traduction française d’époque, qui alourdit peu le style d’origine. Ensuite, parce qu’il s’agit d’une littérature fantastique qui s’assume pleinement, ce qui donne lieu à de terrifiantes descriptions d’entités innommables. On comprend ainsi mieux l’inspiration qu’y a trouvée Lovecraft, en particulier pour son Abomination de Dunwich.

Le fantastique, selon Machen

Le fantastique, selon Machen, prend ses racines dans notre univers tout en évoquant l’existence (et cela, l’auteur y croyait dur comme fer) d’un autre monde, joint au nôtre au travers d’une fine barrière. Les questions que soulève Machen au travers de ses récits sont multiples : qu’adviendrait-il de l’humain si des entités démoniaques arrivaient à entrer en contact avec nous ? Quel risque y a-t-il à vouloir découvrir ce que l’esprit ne devrait pas appréhender ? 

Cette quête de la connaissance interdite, élément central de nombre de récits fantastiques du xixe siècle, trouve avec Machen un canevas gothique, sombre et décadent, qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.  Quant à l’aspect profondément décadent, on le ressent jusque dans la plume de Machen et dans sa manière bien singulière de décrire les environnements : « Par une nuit sale, des verres crasseux. » 

L’ensemble de ce recueil offre un niveau d’écriture maîtrisé et une splendide incursion dans l’imaginaire du xixe siècle, avec en prime, comme cela est l’habitude avec Callidor, une édition luxueuse, préfacée par Guillermo Del Toro, et agrémentée d’un court essai de Jorge Luis Borges sur Arthur Machen. 

En prime, on retrouvera une vingtaine de splendides illustrations de Samuel Araya, qui était déjà à la barre du Roi en Jaune chez Callidor, conférant à cet ouvrage un aspect unique en son genre. En effet, le parti pris graphique d’Araya, mêlant collage et photos d’époque, se marie à merveille avec l’esprit Machenien pour accentuer la puissance des descriptions de créatures venues des tréfonds des âges. 

La résurrection de l’œuvre de Machen est l’occasion idéale pour se plonger dans le récit d’un auteur majeur de la littérature fantastique, afin de découvrir aussi l’une des principales inspirations de H. P. Lovecraft ! Livre-objet d’une grande beauté, n’hésitez aucunement à vous le procurer.

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