À l’aube, les flammes : Mulan revisitée

Si le nom de K. X. Song ne vous dit rien, c’est parce que À l’aube, les flammes est le premier de ses romans traduits en français. Avec ce livre, l’autrice sino-américaine propose une version largement revisitée de la plus célèbre héroïne chinoise : « Même si Mulan est souvent considérée comme un symbole de l’égalité des sexes, ses histoires renforcent généralement les rôles traditionnels. J’ai voulu explorer ce qui se passerait si Mulan, après avoir connu la liberté déguisée en homme, refusait de revenir à ces contraintes. » [interview de K. X. Song donnée au site Shereads en juillet 2024]. Mais ne vous attendez pas à une simple réédition plus féministe, À l’aube, les flammes propose un délicat mélange de fantasy, de romance, d’aventure et de complots politiques sur fond de guerre.

« Existait-il un moyen qui me permettrait de vivre librement ? Au demeurant, est-ce que quelqu’un en ce monde avait déjà vécu en être libre, affranchi de ses innombrables devoirs ? Le devoir envers sa famille, envers son empereur. Le devoir de s’engager dans la guerre, de se marier pour la dot, de s’occuper des enfants de son mari. Vivre pour soi, est-ce qu’une telle chose pouvait se concevoir ? »

À l’aube, les flammes, K. X. Song, Bragelonne

Comme un homme

Meilin est née femme dans un monde d’hommes. Quand son père, un opiomane violent qui a dilapidé toute la fortune de sa lignée, choisit de la marier à un vieux marchand lubrique et brutal, elle décide de se déguiser en homme et de s’engager dans l’armée sous le nom de Ren. Elle qui n’a jamais quitté Anlai s’apprête à marcher, aux côtés de ses nouveaux frères d’armes, sur le royaume voisin de Ximing. Outre le danger que son secret lui fait courir — car c’est la mort qui attend une femme ayant osé tenir une arme —, Meilin semble aussi dotée d’étranges pouvoirs, qui pourraient la faire accuser de sorcellerie. 

Elle attire malgré elle l’attention du prince Ciel, le commandant de son bataillon, qui ne la laisse pas indifférente. Ce dernier voit en elle — en Ren —, un soldat fiable, courageux et déterminé, avec qui il établit un vrai lien de fraternité. Tiraillée entre les élans de son cœur, la volonté d’un esprit dragon qui semble se jouer d’elle et son inépuisable désir de liberté, Meilin va devoir faire des choix qui pourraient condamner l’ensemble des Trois Royaumes.

Choc culturel

Dès les premières pages, on ressent les influences culturelles variées de l’autrice, qui n’hésite pas à jouer des clichés de la littérature occidentale en les mêlant à un cadre orientalisant. Sous ses dehors de roman de fantasy, le récit apporte une vision riche et crédible de la manière dont les vainqueurs (ré)écrivent l’histoire, de la façon dont naissent et meurent les coutumes, les croyances, les traditions… Pour Meilin, ce sera un choc culturel en plus d’une émancipation, car le monde au-delà des frontières d’Anlai n’obéit pas aux mêmes règles que son royaume. À Ximing, la magie est révérée et non crainte, et les femmes sont beaucoup plus libres.

L’écriture de Song nous entraîne assez facilement dans son univers et son roman, d’abord agréable, devient vite un page-turner, grâce à un rythme cadencé, des descriptions vivantes et une fluidité qui doit sans doute beaucoup à la traduction (bien que celle-ci semble avoir donné de la peine aux correcteur·ices). La romance y est également assez légère et, si l’on s’attend souvent à ce que le récit bascule dans la romantasy, tant il attise le désir de ses personnages, Meilin surprend en choisissant toujours de favoriser sa liberté et la mission qu’elle s’est donnée, plutôt que ses envies. 

La liberté ou la mort

En effet, l’héroïne créée par Song est sans doute le plus grand atout du récit. À chaque fois qu’elle semble verser dans la caricature, c’est pour mieux nous surprendre par son courage inébranlable et sa volonté à toute épreuve. Loin, très loin, d’être une Mary Sue, elle qui est brisée, torturée et laissée pour morte, qui hurlent, supplie et pleure, elle refuse pourtant une seule chose : renoncer à la liberté. Là ou l’héroïne de Disney était ravie de reprendre sa place de femme au sein de la société à la fin de la guerre, Meilin ne l’envisage pas une seconde. 

Ses failles sont ses plus grandes qualités. Dans la peau de Ren, elle le dit elle-même : elle est avide. Avide de faire ses preuves d’abord, puis, une fois qu’elle se montre aussi capable que n’importe quel homme, de devenir la meilleure, de les surpasser… et surtout, avide de liberté. Malgré cela, Meilin est loin d’être insensible et c’est la confiance qu’elle accorde un peu trop facilement qui la précipite vers un final d’une brutalité innommable, que l’on accepte uniquement parce que l’on sait qu’il existe un second tome : The Dragon Wakes with Thunder. Bragelonne, vous êtes attendus au tournant à ce sujet ! Hors de question de nous laisser comme ça !

K. X. Song n’aura aucun mal à vous plonger dans ses Trois Royaumes et dans le destin de son héroïne. En plus d’un récit passionnant, gorgé d’aventure, de trahisons, d’amour et de magie, À l’aube, les flammes nous rappelle à quel point l’histoire peut être remodelée par ceux qui désirent qu’elle serve certains intérêts ou qui refusent de voir une héroïne s’élever. Un rappel nécessaire en ces temps de musellement des scientifiques et des historiens…

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