La comparaison entre John Gwynne et David Gemmell est toute naturelle quand on voit la qualité des univers, la maîtrise des scènes d’action et la force des personnages chez ces deux auteurs. Elle s’incarne également dans l’impression de prolongement de la féminisation de la fantasy, timide chez l’auteur de Légende et bien plus prononcée chez son successeur. On pourrait trouver bien d’autres points communs entre les deux hommes, mais rentrons plutôt dans le cœur du sujet. Il est temps pour la trilogie sanglante de Gwynne de se conclure.
« Les premiers berserkir entrèrent en contact avec le barrage [de bouclier] dans un fracas assourdissant, le pulvérisant dans une frénésie de muscles, de crocs et de fer. Tout le long de la rangée, des berserkir et des ulfeðnar se jetèrent sur les boucliers, transperçant la ligne de défense, des guerriers projetés dans les airs,leur armure fracassée, les os se brisant dans des jets de sang. Des hurlements s’élevèrent, le fer croisa le fer, et dans un concert de rugissements, le barrage de boucliers se fractionna en groupes plus petits, résistant tant bien que mal. »
Orka, La Confrérie du sang, éditions Leha
Petit retour sur les tomes précédents (attention au spoil)
Orka, fermière aux abords du petit village de Fellur, découvre son mari tué et son fils enlevé. Elle décide alors de renouer avec sa vie de mercenaire pour retrouver son enfant et venger son amour.
Varg, esclave depuis toujours, se bat pour son maître dans des arènes de pugilat. Ce dernier a vendu sa sœur qui a ensuite été assassinée par son nouveau propriétaire. Le jeune homme est prêt à tout pour retrouver sa liberté et la venger. Il croise alors la route de La Confrérie du sang, un groupe de mercenaires hétéroclites qui l’affranchissent et l’embarquent dans leurs rangs.
Elvar est la fille de l’un des plus puissants jarl de Vígríd, mais elle a toujours voulu se construire loin de la cruauté de son père. Alors, elle rejoint les Chiens de guerre, accompagnée par son protecteur Grend. Elle voulait se faire une renommée capture Berak, un berserkir, corrompu descendant du dieu ours Berser, et sa femme Uspa, une sorcière seiðr descendante du père des dieux Snaka, mais elle se retrouve embarquée dans une quête reliée au destin du monde.
Orka va traverser Vígríd, rejoindre ses anciens compagnons de la Confrérie du sang, affronter de nombreux ennemis, sans réussir à retrouver celui qui a tué son mari et enlevé son fils. Ce dernier a été, comme de nombreux autres enfants corrompus, kidnappé par les serviteurs de la déesse dragonne Lik Rifa. Si elle veut le revoir, elle va devoir affronter la bête et son armée de monstres, de fidèles et de corrompus.
Varg a suivi la Confrérie dans ses aventures jusque sur le continent d’Iskidan, là où Vol, la femme de leur chef, a été emmené par un seigneur local. Il s’est endurci et a été formé au maniement des armes. Il a également appris à maîtriser ses compétences de corrompu, car comme tous les membres de ce groupe, il est lui aussi l’enfant d’un dieu, Ulfrir le loup.
Elvar a vu son amant, Biór, la trahir et tuer le chef des Chiens de guerre, elle a vu Lik Rifa être libérée grâce aux enfants corrompus que ses adorateurs ont enlevés. La guerrière a ressuscité et asservi le dieu loup et sa fille. Le tout en ayant réussi à atteindre Oskutred, le lieu mythique où les dieux s’étaient affrontés et entretués. Devenue riche et puissante, elle a pris la tête du groupe de mercenaires et se dirige vers Snakavik, la cité de son père. Malgré tout, elle ne peut échapper au pacte qu’elle a fait avec la sorcière, elle doit libérer son fils de griffes de la dragonne. La guerre est inévitable.
C’est là que reprend le tome 3, et si les précédents étaient riches en action et combats épiques, cette conclusion l’est d’autant plus. Le texte possède un rythme haletant, on voit les nœuds se défaire les uns après les autres sans pouvoir anticiper de quelle manière cela se fera. Les affrontements laissent sans voix, les mystères nous happent et on en voudrait bien plus. Comme nos héros, nous redoutons la fin de l’ouvrage autant que nous avons hâte d’y être.
Vous reprendrez bien un petit coup hache ?
Des duels entre maîtres d’armes chorégraphiés à la perfection aux mêlées suffocantes, rien ne nous est épargné et tout est profondément immersif. La magie, présente, mais timide jusque-là, devient une force essentielle pour les différentes armées. Petit bémol peut-être sur le côté répétitif de la façon dont elle est décrite. Au contraire, les hordes de vaesens, ces horreurs enfantées par Lik Rifa, deviennent des menaces encore plus présentes et intéressantes que dans les précédents ouvrages.
Les forces des corrompus sont toujours plus impressionnantes, donnant lieu à des affrontements sanglants et brutaux. Pendant ce temps, les humains, comme Elvar et ses hommes, doivent redoubler d’adresse et de ruse pour rivaliser avec les nés du dragon et tous les autres. Le résultat est sans appel, dans ce livre il n’y a ni ennui ni répit ! Quand les guerriers et guerrières s’arrêtent pour se reposer, on ne peut qu’imaginer ce qui va les réveiller en pleine nuit pour les forcer à reprendre les armes.
De la profondeur pas seulement dans les plaies !
Vu comme ça, on peut croire que ces enchaînements de scènes d’une grande violence occultent les personnages. Il n’en est rien !
John Gwynne arrive, avec un talent indéniable, à donner de la profondeur à l’ensemble des acteurs de cette saga. Les motivations, les révélations et les enjeux qui changent au fil des péripéties permettent de développer leur complexité. Le mur de bouclier est aussi le lieu d’attentions révélatrices sur des liens qui se tissent ou s’effilochent. Comme la Confrérie du sang, des familles se créent l’arme à la main.
Rien de tel pour montrer l’attention particulière que notre viking anglais porte à ses personnages, que de parler des antagonistes, Biór et Guðvarr en tête. On entrevoit comment le mal n’est pas l’apanage de tous, parfois il s’agit de simplement d’une décision malheureuse, de la peur de mourir et de l’envie irrépressible de survivre. Ces deux hommes sont complexes, détestables et fascinants. Ils sont profondément humains et cela nous pousse à suivre chacun de leurs pas avec de la crainte, des espoirs un peu fous ou une profonde tristesse.
Une construction très efficace
Pensés pour nous immerger très rapidement dans l’univers, ces trois romans sont en accélération perpétuelle. Les chapitres sont de plus en plus courts, jusqu’à un dernier tome ressemblant à un enchaînement de cliffhangers, à la manière des meilleures séries télévisées. La maîtrise des changements de points de vue permet à l’auteur de nous tenir en haleine sur chacun des fils narratifs qu’il tire.
Donner une voix par chapitre était au départ un bon moyen de séparer chaque intrigue. Ces dernières ne menant qu’à l’affrontement final dans l’ultime volet, elles deviennent un repère spatial et temporel pour le lecteur, quand l’ampleur des évènements risquerait de le perdre.
Si les morts sont souvent anonymes dans les premiers tomes, faisant passer les personnages principaux pour des héros et héroïnes de films d’action, il n’en est rien dans le dernier. Les adversaires sont de forces comparables, tout le monde vit sur le fil et chaque coup de lame peut être le dernier. On apprécie d’autant plus de voir s’imbriquer les vengeances, chaque personnage accumulant les cibles et les ennemis jurés. Si vous ne l’aviez pas encore compris, en Vígríd, les problèmes se résolvent dans une éclaboussure de chair, de sang et d’esquilles d’os.
En trois tomes, l’auteur anglais signe une saga qui prend aux tripes. Tout y est brutal et direct, mais dans les détails se cachent une complexité et une forme de tendresse pour ces personnages malmenés par la vie. On passe en un clin d’œil du gigantisme d’un champ de bataille à l’intimité du mur de bouclier, de la gravité d’un conseil de guerre aux blagues graveleuses au coin du feu. Tout ici est à la fois incroyablement épique et profondément humain. La fin du livre clôture les intrigues de la trilogie, mais il reste encore à faire pour les survivants et survivantes. Alors, on peut rêver qu’un jour John Gwynne nous renvoie en Vígríd.