Si cette critique n’est pas un (Re)lire, c’est parce que Le Patient, de Timothé Le Boucher, ressort ce mois-ci dans une version poche aux éditions Glénat. Un format qui n’a pas amoindri l’audace de son récit, sa tension dramatique et ses personnages toujours aussi intrigants. Pour celles et ceux qui souhaiteraient découvrir ce thriller macabre sur la route des vacances, voilà une réédition idéale.
Six ans
Cela fait six ans que toute la famille Grimaud a été assassinée, à l’exception de Pierre, le fils aîné, et de sa sœur Laura, accusée des meurtres. Plongé dans le coma depuis le drame, Pierre s’éveille paralysé et presque sans aucun souvenir de l’événement. Il est pris en charge par Anna Kieffer, psychologue spécialisée en criminologie et victimologie, pour qui l’affaire est plus qu’un simple contrat. Anna a en effet suivi Laura lorsque celle-ci était en détention. Non seulement elle a échoué à découvrir la vérité concernant son implication dans les meurtres, mais Laura s’est également suicidée durant la thérapie. Pour Anna, le réveil de Pierre, six ans après les faits, est tout autant une manière de découvrir enfin qui est responsable du drame que l’on surnomme « le massacre des corneilles » que de rattraper cet échec professionnel. Pourtant, la relation qui se crée entre la psychologue et son patient est étrange, inquiétante et, parfois, presque sensuelle.

Dysfonctionnelle
On retrouve le talent de Timothé Le Boucher lorsqu’il s’agit d’écrire des personnages complexes et surprenants, ainsi que pour mêler plusieurs récits en un seul. Ici, c’est d’abord la famille Grimaud qui intrigue. Entre la mère alcoolique, le père absent, Laura, présentée comme mentalement déficiente, la grand-mère en conflit permanent avec sa fille ou encore le cousin Dylan, venu vivre avec le reste de la fratrie suite à un événement dramatique, nous voilà avec le cocktail idéal de la famille dysfonctionnelle. Il y a aussi le petit monde du personnel hospitalier, qui oscille entre infirmières désabusées, rééducateurs qui jouent les entremetteurs, mesquineries entre collègues et rumeurs sur les patients.
Si Pierre est au centre de l’intrigue, les autres patients qu’il côtoie, avec qui il tisse des liens, bons ou mauvais, sont autant de vécus dramatiques qui viennent s’ajouter au sien. À travers eux, c’est aussi le monde hospitalier, dans tous ses aspects, positifs comme négatifs, dont nous parle l’auteur.

Relationnel
Mais c’est bien la relation entre Anna et son patient qui met les lecteurs et lectrices les plus mal à l’aise. Pierre à beau s’éveiller désormais âgé de 21 ans, c’est toujours un adolescent de 15 ans d’une certaine manière, ce qui rend le jeu de séduction auquel il joue avec sa psychiatre d’autant plus dérangeant.
Petit à petit, le récit bascule dans l’angoisse, au fur et à mesure que la personnalité des deux protagonistes se révèle. Timothée Le Boucher nous surprend comme il sait si bien le faire, en instaurant d’abord un climat de confiance, en nous montrant le passé de Pierre et en développant un réseau d’amitié encourageant autour de lui, pour mieux nous servir, a mi-parcours, une violence crue et faire plonger son récit dans l’horreur. Après ça, c’est un jeu du chat et de la souris ponctué de meurtres qui se lance, pour nous mener jusqu’à un final là aussi dans la droite ligne de l’auteur, qui ne sera pas sans rappeler celui de Ces jours qui disparaissent, et où l’on referme l’album en ayant toujours un doute sur l’identité réelle de l’assassin.

Mortel
Quand on voit la manière dont Timothé Le Boucher parvient à mettre en scène des plans quasiment cinématographiques, où le focus sur un détail devient une véritable métaphore, on est qu’à moitié surpris de savoir que Le Patient a été adapté au cinéma en 2022 par Christophe Charrier, dans une version qui prend néanmoins de grandes libertés avec le récit original. Les inspirations cinématographiques de cette bande dessinée sont d’ailleurs nombreuses : Dédales (de René Manzor, 2003), Fenêtre secrète (basé sur la nouvelle de Stephen King) ou encore The House That Jack Built (du controversé Lars von Trier).
Le Patient est aussi bourré de petits détails qui sont autant d’indices sur les messages qu’il cache et sur son dénouement, mais pour les découvrir il faudra sans doute le relire plusieurs fois. Enfin, bien que la violence y soit tout autant physique que psychologique, et si certaines scènes sont sanglantes, l’auteur joue plutôt sur ce qu’il ne montre pas ou qu’à demi pour nous faire frissonner. La mort n’est pas le pire, mais le processus qui y conduit, en revanche… Le malaise se dégage finalement plus de certains plans qui usent avec brio de jeux de lumière particulièrement réussis ou qui montrent les personnages dans toute leur vulnérabilité.

| Qu’est-ce qui fait un tueur ? Si la question a nourri le cinéma et la littérature pendant des décennies, Timothé Le Boucher en propose une version glaçante dans Le Patient. Nul doute que ce roman graphique continuera de hanter ses lecteurs longtemps après la dernière page. |
Album reçu dans le cadre d’un service presse.
