Transmetropolitan, où l’art du journalisme contestataire

Parmi les plus grands auteurs de comics existants, impossible de faire l’impasse sur Warren Ellis, tant son style est unique en son genre. De No Hero à Planetary, il a repensé le modèle super-héroïque à sa manière, mais a aussi et surtout réalisé l’un des meilleurs comics qui soit : Transmetropolitan

L’histoire

Bienvenue dans le futur : la technologie est omniprésente, une nouvelle religion naît chaque jour, les drogues synthétiques se multiplient, les conflits s’accumulent et les politiciens sont toujours aussi véreux. Rien n’a véritablement changé et entre se transformer en une créature de son choix, devenir un nuage informatique ou bien encore se shooter avec une myriade de drogues contenues dans les cadavres de rockstars décédées, le futur offre des opportunités infinies. Au milieu de ce chaos moderne, un journaliste à la gouaille sans pareille et à la misanthropie affirmée, Spider Jérusalem, est de retour. 

Obligé de sortir de sa paisible vie d’ermite à la montagne afin d’écrire deux livres qu’il doit à son éditeur, il replonge dans les entrailles putrides d’une société qu’il exècre autant qu’il l’aime, afin d’offrir un regard médiatique inédit sur les dérives des temps modernes. 

Entre satire politique et journalisme gonzo, il n’y a qu’un pas !

Édité de 1997 à 2002, Transmetropolitan est la bible comic du cyberpunk politique, avec un ton nihiliste et désabusé dont seul son créateur, Warren Ellis, a le secret. Alors qu’à sa parution, la sphère Internet est balbutiante et que la calamité infernale des réseaux sociaux n’a pas encore commencé, l’auteur imagine toutes les affres d’un futur en crise et d’une société en perdition, avec une clarté introspective splendide. 

Warren en a, des choses à reprocher au monde d’aujourd’hui et de demain, et Dieu sait que son flot de bile misanthrope peut s’écouler éternellement. Il étale donc l’ensemble de ses réflexions sur cinq volumes bien épais de quelque 300 pages chacun, où se confrontent jugements acides envers le genre humain et séquences d’investigation musclées à la recherche de la vérité. 

Pourtant, au détour d’un flot d’injures bien senties, Ellis se laisse aller à des hommages émouvants, comme dans le premier volume, où il convoque discrètement la trilogie new-yorkaise de Will Eisner au travers de ces quelques mots : « Ce n’est pas une utopie, et je préfère de loin la montagne… Mais la ville vit. »  Alternant avec une désarmante aisance des séquences drôles à en pleurer et des scènes tragiques à souhait, l’auteur montre un talent d’écriture et une maturité politique surprenante par moments, que ce soit en mettant le doigt sur une réalité sociale toujours d’actualité où en proposant certaines histoires annexes profondément déchirante. 

La colère comme arme de vérité ?

Spider Jerusalem, pire salaud qui soit, se révèle pourtant être l’une des rares personnes intègres du coin, malgré son langage fleuri et son comportement aussi aléatoire que ravageur. En quête de la vérité pure, sa vocation de journaliste l’amène à trouver les réponses dans les plus sordides recoins du monde et à côtoyer les pires rebuts du genre humain. Accompagnés de ses deux assistantes et de son chat à trois yeux, qui clope autant qu’un camionneur, il faudra bien du courage à Spider pour débusquer la vérité dans un monde amorphe qui ne semble pas réellement vouloir la découvrir. Entre une campagne présidentielle qui tourne mal, des sectes satanistes à tous les coins de rue ou bien des gadgets de destruction massive qui noient le marché chaque jour, le quotidien de notre cher journaliste n’est jamais de tout repos.

L’œuvre d’Ellis est d’une densité exceptionnelle et offre un terreau si riche en questionnements qu’on ne s’ennuie jamais dans Transmetropolitan. Parfois, quelques fresques intimistes viennent ponctuer notre lecture, avec une émotion certaine face à la destinée de personnages aspirés par un futur qui ne semble pas vouloir d’eux. Alternant séquences contemplatives et arcs narratifs plus musclés, l’histoire de Transmetropolitan s’écrit sur la peau de ses millions d’habitants et dans l’esprit de Spider Jerusalem, sorte d’avatar de Warren Ellis, venu constater les travers de notre futur.

Cette densité se retrouve aussi dans le trait de Robertson, qui nous dévoile la titanesque fresque humaine qu’est la ville, avec ses myriades de gens, de tenues, de dérives et de couleurs. On ne trouvera sûrement jamais meilleur réceptacle graphique aux idées d’Ellis et on savoure chaque page comme si c’était la dernière. Ajoutez à ça la prose délirante de Spider, provocateur invétéré, et vous aurez devant vous l’un des meilleurs comics jamais écrits et dessinés.

C’est avec un plaisant vertige que l’on finit sa lecture, épuisé, mais heureux de ne pas vivre dans ce monde-ci… du moins, on espère ne pas déjà y être. 

Les chapitres préférés de votre serviteur :

  • 21 jours dans la vie d’une ville (Tome 3)
  • La Promenade (tome 3)
  • Dieu à la place du Mort (tome 1)
  • Des lendemains de glace (Tome 1)
  • T’en veux ?
Transmetropolitan est la bible du comic contestataire irrévérencieux, satire politique d’une justesse foudroyante et désopilant à souhait. A mettre entre toutes les mains !

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