Écrire pour la jeunesse est un double défi : toucher les plus jeunes en restant juste et parler aux adultes qui prendront la décision d’acheter ou non le livre, et parfois le liront également. Noëmie Lemos réussit à transcender ces difficultés pour transmettre à toutes et tous des messages magnifiques dans un univers d’une richesse et d’une complexité rares.
« Tout le monde adore les bébés jiihs. Tout le monde, sauf moi. Je ne comprends pas que mes camarades de classe puissent supporter leur enthousiasme débordant. Là, par exemple, j’aimerais bien finir mes devoirs. Mais l’une de ces minuscules peluches à neuf tentacules veut absolument utiliser ma tablette comme une patinoire, quand une autre joue dans mes cheveux et une dernière me chatouille les chevilles. Impossible de me concentrer ! »
Myrina
Aux origines de la station
Pour commencer, Station Symbiose est avant tout le nom de la station spatiale interplanétaire dans laquelle la plupart des espèces intelligentes de la galaxie sont réunies. Les humains sont les derniers arrivés dans ce complexe symbiotique où tout le monde doit faire sa part pour que le vaisseau fonctionne. Pour les personnes qui n’ont pas lu les nouvelles du recueil Amazonies Spatiales (Bragelonne) — auquel Noëmie a participé —, ce roman en est assurément un héritier. Il porte ces mêmes questionnements autour de l’anthropocentrisme, des limites de ce que nous pouvons imaginer comme êtres vivants intelligents. Ici, chaque espèce a sa propre forme, son propre mode de reproduction et de communication, elles sont toutes originales et uniques.
C’est dans cet espace grouillant et fascinant que s’installe l’intrigue. Myrina, humaine juvénile, travaille d’arrache-pied pour échapper au travail destiné aux humains : le traitement des eaux usées. Son père reste dans leur petit appartement, il s’occupe des adorables et insupportables Jiihs, des sortes de pieuvres pelucheuses envahissantes, et de son grand-père. Pendant ce temps, sa mère s’échine à l’usine d’épuration de l’eau, comme la plupart des humains.
La vie d’artiste
La jeune fille mène en secret une vie d’artiste, avec la complicité de Prof, son professeur, un alien vénal et intraitable, et de Patron, le propriétaire du bar où elle joue tous les soirs. Le génie de l’autrice repose probablement dans cette idée : trouver un art improbable et pourtant quasi universel. Car au cœur de l’intrigue, c’est de l’universalité et du vivre ensemble dont il est question tout au long du texte. Cet art est celui de faire passer des émotions, de peindre des fresques fascinantes au travers des odeurs. Myrina est une artiste olfactive. Il n’est pas question de créer un parfum, mais bien de faire parler les odeurs comme les couleurs d’un tableau, de rendre les senteurs des arbres, de la terre, de l’eau, mais aussi de la peur, de la joie et de la tristesse.
Il y a un protagoniste que je ne vous ai pas présenté, c’est la créature la plus complexe à cerner de tout l’ouvrage. Il s’appelle Pyr’hus, c’est une petite boule de plumes télépathe. Unique en son genre, à la fois fragile et terriblement fort, sa relation avec la jeune fille cristallise les difficultés à vivre ensemble avec nos différences. Son arrivée est concomitante avec l’élément perturbateur du récit : la mère de Myri est jetée en prison avec les membres de son équipe, car l’eau serait encore polluée malgré son passage par l’usine. Myrina décide alors, avec l’aide de son compagnon secret, d’aller prouver l’innocence de sa mère en bravant tous les mystères et les dangers de la station Symbiose.
Enquêtrice très spéciale
Si cette enquête ressemble à un prétexte pour nous faire visiter les différents niveaux de ce lieu aux dimensions titanesques, c’est aussi le meilleur moyen de nous révéler la quantité phénoménale de vies et de possibilités que pourrait nous offrir l’univers. Exit les formes de vies anthropomorphes et les constructions nécessitant des carburants fossiles exotiques. Ici tout est question d’harmonie, chaque espèce est indispensable au fonctionnement de la station, toutes sont interdépendantes et aucune ne subit de racisme. À ceci près que les humains, les derniers arrivés, sont constamment traités de djekets, littéralement les destructeurs de monde. Cinq siècles n’ont pas suffi à effacer leur réputation et leurs besoins sont encore mal compris par le reste des habitants de la station. Là où la différence règne, les discriminations s’immiscent dans les désagréments du quotidien, djeket a presque supplanté le terme humain, on offre qu’une seule voie à notre espèce, celle de l’usine d’épuration, et nombre de décisions importantes sont prises sans le consentement des intéressés.
La quête de Myrina est triple, retrouver sa mère, trouver sa place dans la société symbiotique et aider les humains à trouver la leur. Ce conte antiraciste, universaliste et féministe est d’une très grande puissance, tout en restant abordable, drôle et adorable. Le nombre de créatures duveteuses auxquelles on a envie de faire des câlins est assez incroyable ! Les aliens ont des fonctionnements déroutants, bien qu’inspirés de véritables mécanismes biologiques.
En quittant cet ouvrage, on a hâte d’y replonger, de découvrir de nouveaux mystères au cœur de cette station spatiale interplanétaire. La science-fiction est bien le genre de prédilection de Noëmie Lemos et après avoir parlé d’enfance dans ses précédents romans Hope (éditions Timelapse) et Neige (auto-édition), elle parle aujourd’hui avec justesse aux jeunes générations, ainsi qu’aux moins jeunes.