Au premier coup d’œil, La Gardienne des concubines a tout d’une redite des Carnets de l’apothicaire. Son cadre, la Chine impériale, son héroïne, propulsée malgré elle au sein du palais intérieur parmi les concubines de l’empereur, le fait qu’elle se retrouve sous la supervision d’un homme diablement séduisant et les complots, mesquineries et jalousies qui vont désormais rythmer son quotidien… Pourtant, là où l’adaptation de l’œuvre de Natsu Hyūga met surtout en avant son héroïne intelligente et quelque peu cynique, cette autre adaptation (de la série de light novel d’Aki Shikimi, intitulés Koukyuu Kisaki no Kanrinin/後宮妃の管理人) se montre beaucoup plus débridée et propose des intrigues politiques aussi savoureuses que mortelles.
Mariage forcé
À 28 ans, Yuran est considérée comme une « vieille fille » (!). Loin de s’en offusquer, elle gère de main de maître la maison de commerce familiale et n’a pas le temps pour l’amour. Pourtant, un édit de l’empereur la marie de force au chancelier Kogetsu Haku, un homme aussi beau que mystérieux, et fait d’elle la gardienne des concubines, chargée de veiller à leur beauté et à leur bien-être. Yuran se retrouve donc à emménager dans la cour intérieure, où règne une hiérarchie complexe entre les épouses officielles, les concubines et les maîtresses, ainsi qu’au sein des différentes castes de serviteurs. D’autant que des dissensions politiques agitent aussi tout ce petit monde : entre les conservateurs et les traditionalistes, tous les coups sont permis pour placer ses pions au plus près de l’empereur et l’influencer. Non seulement Yuran doit composer avec les rivalités qui opposent les femmes de la cour intérieure entre elles, mais elle devient également une cible pour les ennemis politiques de son nouvel époux. Et puis l’empereur, qui a une bien trop grande influence sur Kogetsu, ne semble pas l’avoir choisie par hasard pour épouser l’homme le plus proche de lui.

Toutes les roses ont des épines
La Gardienne des concubines met d’abord l’accent sur la relation entre Yuran et Kogetsu, bien différente du duo formé par Mao Mao et Jinshi dans Les Carnets. Ici, les deux personnages développent assez vite de l’affection l’un pour l’autre, bien qu’empreinte de retenue. Kogetsu Haku n’est pas un homme calculateur ni ambitieux, mais au contraire plutôt calme, timide et dévoué à l’excès. Sur ordre de l’empereur, il se déguise en femme afin de rejoindre la cour intérieure aux côtés de son épouse (là où les seuls hommes normalement admis sont des eunuques) et pouvoir observer de près les manigances qui s’y trament. Pourtant, sous ses airs servile et quelque peu effacé, il se montre aussi très protecteur envers Yuran et capable d’une grande violence lorsqu’elle est en danger. Kogetsu est l’illustration parfaite de l’expression « toutes les roses ont des épines », lui qui se révèle, au fil de l’histoire, aussi brillant épéiste que couturier !

Des femmes instrumentalisées
En dehors de leur histoire d’amour naissante, un peu naïve, mais touchante, le récit aborde essentiellement la question des troubles politiques qui agitent l’empire de Reiki. Deux factions principales, les conservateurs et les progressistes, tentent d’étendre leur influence et les différents ministères se rangent plutôt d’un côté ou de l’autre. Dans ce contexte, les femmes de l’empereur, en fonction de leur allégeance ou parce qu’elles peuvent servir le dessein de l’un ou l’autre des camps malgré elles, deviennent des armes ou des victimes. Elles sont manipulées pour s’en prendre à d’autres, intimidées, voire empoisonnées et, de manière générale, réduites à de simples instruments entre les mains des hommes qui gouvernent.

Yuran n’y échappe pas non plus, bien que son statut lui apporte plus de liberté. On comprend rapidement qu’elle est un jouet dans les mains de l’empereur, qui s’amuse à la « tester » à travers des « épreuves », dont certaines manquent de la faire tuer. Si le début du récit menaçait de se vautrer dans des clichés propres à la romance, comme celui des femmes prêtent à se tirer dans les pattes pour attirer les faveurs d’un homme qui se fiche éperdument d’elles, la fin du tome 2 semble promettre une issue différente. La célèbre « jalousie féminine », d’abord présentée comme évidente, est un peu plus montrée comme un instrument utilisé par les hommes pour garder les femmes en leur pouvoir. C’est en tout cas le message que l’on espère voir triompher, au vu du tour que prend le récit.

Enquêtes et crimes
Enfin, La Gardienne des concubines fait la part belle aux intrigues et à leur dénouement. Si elles ne sont pas toutes très originales, voir Yuran jouer les détectives, interroger les membres de la cour et se servir de ses contacts en tant que marchande renommée pour découvrir certains secrets apporte une touche plus mature et presque policière à l’œuvre. Ici, il ne s’agit pas de querelles insipides ou de simples jalousies, mais bel et bien de corruption, de sabotage et même de tentatives d’assassinat. On s’attend d’ailleurs à ce que les prochains tomes renforcent cette dimension d’enquêtes et de complots politiques, qui donnent son tout caractère au manga. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que ce La Gardienne des concubines est devenu notre petit plaisir coupable, celui qui nous fait dire « je n’aime pas la romance mais… » et dont on attend la suite avec un patience !

| Un empereur manipulateur, une romance naissante, des secrets à n’en plus finir et une sororité qui se dessine, c’est ce que promet La Gardienne des concubines, un manga de chez Mana-Books qui met à l’honneur une héroïne astucieuse plongée dans un véritable nid de vipères. Bien moins classique qu’il n’y paraît, le récit propose un excellent équilibre entre humour, intrigue et sentiments. Vivement le tome 3 ! |
