Downlands, petites histoires entre la vie et la mort

Né au Canada, Norm Konyu est un artiste aux multiples facettes, storyboardeur, animateur pour des campagnes publicitaires, puis pour la BBC, Nickelodeon et même Dreamworks, il est aussi auteur-illustrateur et on lui doit notamment le très drôle L’Appel à Cthulhu (édition Black River, 2024). Cette année sort Downlands aux éditions Glénat, une enquête à tiroirs délicieusement effrayante qui mêle légendes urbaines, folklore anglais et deuil familial.

La légende du chien noir

Connaissez-vous vraiment votre rue ? Savez-vous combien de gens y ont vécu et y sont morts depuis un siècle ? Quels drames du quotidien, quelles histoires incroyables ou quelles personnalités extraordinaires chaque maison a pu abriter ? À Alfstanton, petite bourgade anglaise, la rue où vit James Reynolds est chargée d’histoires personnelles méconnues. James a 14 ans et sa sœur jumelle, Jennifer, vient de mourir. Encore sous le choc, l’adolescent ne cesse de repenser aux derniers instants de celle qui était tout à la fois son double, sa meilleure amie et sa compagne de chaque instant : elle disait avoir aperçu un terrifiant chien noir qui l’aurait traversée comme un fantôme. Spectre, hallucination ou présage funeste ? James décide d’aller voir sa vieille voisine, Mme Walker, qu’on dit être une sorcière, pour en savoir plus sur ces histoires de fantômes qui font les légendes des Downlands.

Une bonne mise en scène

Sous sa délicieuse simplicité, Norm Konyu développe un style expressif, où les couleurs soulignent avec talent l’ambiance de chaque scène. La qualité graphique de cet album nous rappelle qu’il n’y a pas toujours besoin d’être dans l’hyperréalisme et les teintes sombres pour évoquer les fantômes et l’angoisse : une bonne mise en scène, une lumière judicieusement choisie et un découpage suggestif sont tout aussi efficace. 

Sans être une bande dessinée horrifique, Downlands cultive judicieusement les clichés des récits d’épouvantes pour nous faire gentiment frissonner, à la manière de ces histoires que l’on se raconte assis en cercle à la lueur des bougies lorsqu’on est ado. L’expertise de l’auteur en matière d’animation prend le relais lorsqu’il s’agit de mettre en cases des plans dignes du cinéma d’horreur. De nombreuses scènes évoquent les succès du genre, tels que Les Autres, Shinning, Le Village ou encore Sleepy Hollow, sans jamais user de violence crue ni de la moindre goutte de sang. Il est bien plus efficace de faire travailler notre imagination, tout comme celle du héros, à la suite d’une ombre entraperçue.

Deuil

Drames du quotidien, anecdotes, hasard des circonstances… Si les petits ruisseaux forment les grandes rivières, les petites histoires individuelles forment celle de la rue, celle où vit James. Le récit se dessine ainsi par petites touches, à force d’incursions dans le passé qui nous ramènent toutes à la mort de Jen et aux légendes des Downlands. Illustrant avec brio la vaste toile qui se forme au fil des découvertes du garçon, la fin du récit s’ouvre avec des illustrations en page pleine et en double page, qui s’affranchissent des limites de la page pour nous offrir toute leur beauté.  

Si folklore et légendes urbaines, dont certaines sont universelles comme l’auto-stoppeuse fantôme, servent de cadre, le fil rouge du récit est bien le deuil de James. Sous l’enquête que mène l’adolescent pour comprendre la responsabilité du chien noir dans la mort de sa jumelle, il y a le récit intimiste d’un garçon qui ne parvient pas à dire « au revoir ». Cette quête, c’est un peu son moyen de faire ses adieux, comme si résoudre l’énigme des fantômes d’Alfstanton était une étape pour enfin réussir à pleurer celle qu’il a perdue et pouvoir ensuite recommencer à vivre.

Norm Konyu nous gâte avec cette histoire douce-amère où les vivants cherchent à revoir les morts et où les morts marchent parmi les vivants. Sa manière judicieuse d’imbriquer des tranches de vie réparties sur plusieurs époques pour former la vaste histoire des Downlands et son héros curieux et téméraire, rendu attachant par le drame qu’il affronte, servent un récit prenant de bout en bout. 

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