Les Embrasés, en attendant le tome 5 des Sentiers des Astres

Ceux qui connaissent déjà l’auteur belge Stefan Platteau savent à quel point sa saga de fantasy Les Sentiers des Astres est une merveille d’écriture, d’aventures épiques et d’inventivité. Peut-être, comme moi, attendez-vous avec impatience de découvrir la suite des péripéties de Fintan, de Shakti et de la petite Kunti. Si vous ne l’avez pas encore fait, je vous invite aujourd’hui à ronger votre frein en lisant Les Embrasés, un recueil de nouvelles qui permet d’en apprendre plus sur l’origine de la révolte des Luari, et de profiter des aventures du mage voyageur Peyr Romo. 

Stefan Platteau lors du festival des Intergalactiques en 2017, tous droits réservés

Trois histoires

Si le livre se présente comme un recueil, il s’agit plutôt d’une nouvelle et de deux courts romans. La première, Mille et une torches, est un prologue à la série de livres principale. On y vit la défaite de la reine Maroué, otage dans son propre palais à Narrakhin, qui s’apprête à offrir sa reddition à l’Héritier-Roi Souranès. Pourtant, celle que l’on surnomme la reine-sorcière a plus d’un tour dans son sac. D’autant que dans les faubourgs de la cité, la révolte gronde. Cette nuit, le peuple est prêt à prendre les armes pour défendre sa souveraine. La colère s’embrase, la soirée sera sanglante…


« Désormais, si quelqu’un venait à mettre en doute l’authenticité de ma… soumission, vous seriez là pour attester : j’y étais, ce jour-là ! J’ai vu Maroué apposer son sceau au bas du parchemin ! […] à moins que vos lèvres ne soient cousues, que vos langues ne tombent au fond de vos tripes, ou que vos tripes elles-mêmes ne remontent étouffer vos gosiers. »

Mille et une torches, Stefan Platteau

Dans les deux autres récits, on suit le sage Peyr Romo à différentes périodes de sa vie. La première histoire, Dévoreur, lui fait quitter femme et enfants pour un long voyage, puisque la cour ducale requiert ses services. Durant son absence, son épouse, Aube, qui n’a pas le talent de son mari pour convoquer les esprits, va être confrontée à l’indicible quand son voisin et ami, Vidal, se met à changer de comportement… Va-t-elle pouvoir protéger sa famille de l’influence d’un Astre néfaste qui semble avoir fait perdre la raison au pauvre homme ?


« Un voyage, en ce temps-là, est toujours une entreprise dangereuse : nul ne peut être certain d’en revenir inchangé. »

Dévoreur, Stefan Platteau

La seconde histoire, intitulée Les Eaux de sous le monde, prend place plusieurs mois après la précédente. Alors que Peyr et sa femme se remettent difficilement des événements survenus dans Dévoreur, celui-ci est appelé par une vieille connaissance pour tenter d’apaiser les tentions entre deux couvents religieux différents : le Saharon et le Nimirion. La révérende-mère du second accuse en effet le premier d’avoir invoqué un esprit maléfique pour tourmenter ses religieuses. Plongé au cœur d’une querelle ancestrale, Peyr Romo découvre des secrets enfouis et des tragédies oubliées, le tout sur fond de catastrophe (sur)naturelle, puisque la ville est en proie à une crue d’une ampleur jamais vue auparavant.


« Des gens bourrus et stupides ont pris les armes ; ils se font appeler les Frères ratiers, jurent de nettoyer la ville de la vermine et se préparent à défendre la populace contre d’hypothétiques viols et de tout aussi fantasmatiques meurtres rituels. »

Les Eaux de sous le monde, Stefan Platteau

Jouissif

La plume de Stefan Platteau n’a rien perdu de sa superbe et ces trois récits sont tous de très bonne qualité. Le premier permet de saisir le talent de l’auteur lorsqu’il s’agit de passer d’un registre à un autre, mais aussi quand il faut plonger une scène de tension dans l’horreur pure et simple. Il y a quelque chose de jouissif dans la vengeance de Maroué, malgré l’écœurement qu’elle suscite, et, comme son peuple à l’extérieur du palais, on se surprend, lecteur⸱ice, à désirer la violence, à l’estimer méritée. 

Cette mise en bouche est absolument savoureuse, mais le cœur du récit est bien évidemment ce diptyque d’aventure mettant en scène le mage Peyr Romo (ainsi que sa femme, dans la première moitié de Dévoreur). On y découvre un personnage astucieux, réfléchi et surtout profondément humain.
Si Dévoreur est annoncé comme une revisite des contes sur les ogres et du mythe de Cronos (ce qu’il est, sans aucun doute), l’actualité nous pousse à y voir aussi une dénonciation de l’inceste. Une sensation appuyée par le comportement parfois à la limite du libidineux de son ogre amateur de chair. Si le texte emprunte, bien plus que les autres, au genre du merveilleux, il bascule lui aussi dans l’horreur, avec l’appui de scènes particulièrement crues, d’une manière parfaitement maîtrisée par l’auteur. Le rythme sous tension et les nombreux rebondissements lui font conserver un dénouement incertain jusqu’à sa toute fin.

Dévoreur, première édition chez Les Moutons électriques en 2015

Plus proche d’un polar surnaturel, Les Eaux de sous le monde propose une enquête mystérieuse, avec moins de tension, mais des personnages particulièrement intéressants. Mandaté par les saharistes, car elles sont accusées par les servantes de Nimir d’avoir lâché le spectre d’une corneille (symbole du Saharon) sur elles, Peyr Romo va découvrir que les deux couvents nourrissent de vieilles rancœurs, entretenues par des coups bas et des campagnes de dénigrement, qui se montrent plus politiques que religieuses. On passe donc plus de temps auprès des sœurs du Nimirion, dont la foi est faite de punitions, de règles et de dogmes stricts, là où les saharistes font prévaloir la liberté et l’acceptation de tous sans distinction. Pourtant, sous leurs dehors austères, voire hostiles, les servantes finissent toutes par révéler des personnalités complexes et souvent attachantes. Bien différente de ses « sœurs », la jeune Azal montre un caractère solaire et résolument enjoué qui en fait l’un des personnages les plus intéressants du récit, et ce, malgré un handicap qui a profondément déformé son corps. Si le texte ne manque pas de créatures effrayantes venues de l’Inframonde, l’auteur aime y rappeler que la véritable horreur vient souvent des humains eux-mêmes. 

Les Eaux de sous le monde, version poche, chez J’ai Lu
Avec Les Embrasés, Stefan Platteau étend astucieusement l’univers (très vaste) des Sentiers des Astres, à travers trois récits épiques, sombres et passionnants. De quoi laisser un peu de répit aux membres de l’expédition de sa saga principale, partie à la recherche du Roi-diseur, tout en prouvant aux lecteurs qu’il a pensé son univers de manière approfondie. 
Pour celles et ceux qui le souhaitent, sachez que les deux récits mettant en scène Peyr Romo sont également disponibles indépendamment, au format poche, chez J’ai Lu.

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