Pierre Bordage n’est plus à présenter, véritable figure de la littérature française de l’imaginaire. Arkane est un diptyque sorti après déjà de nombreux succès de sa part, dont le premier tome a reçu le prix des Imaginales roman francophone 2018. Dans ce roman de high fantasy, Bordage mêle avec soin une intelligence de l’écriture, des personnages variés et un univers cohérent.
L’histoire
Dans la ville d’Arkane, gouvernée par sept grandes familles, l’équilibre fragile du pouvoir est brisé lorsque six d’entre elles s’unissent pour anéantir la maison du Drac. Seule survivante du massacre, Oziel n’a qu’un objectif : retrouver son frère banni et lever une armée pour reprendre sa place au sommet. Pendant ce temps, Noy, héritier de la maison du Corridan, refuse de céder à la corruption ambiante. Amoureux d’Oziel, il décide de la retrouver, quitte à trahir sa propre famille. Loin de ces intrigues, Renn, un jeune apprenti enchanteur de pierre, voit son destin bouleversé lorsque son maître disparaît mystérieusement. Forcé de suivre un étranger porteur d’une terrible nouvelle, il se lance dans un périple qui pourrait sceller le sort d’Arkane.
Un rythme et une intrigue parfaitement maîtrisés
Arkane impressionne par la rigueur avec laquelle son intrigue est agencée. Trois récits distincts se tissent, chacun suivant un personnage – Oziel, Renn et Noy – et tous convergent progressivement vers un même point. La construction du roman repose sur une alternance de chapitres qui laisse le lecteur en suspens, chaque intrigue étant mise en pause à un moment clé avant qu’une autre ne prenne le relais. Ce procédé, bien que risqué, est ici parfaitement géré : aucune histoire ne semble plus faible que les autres, et surtout, chaque intrigue possède une identité propre, évitant ainsi toute sensation de confusion ou de lassitude.
L’auteur prend le temps d’instaurer une dynamique différente pour chaque personnage. Oziel se révèle être une figure d’action, constamment actrice des événements, tandis que Renn subit davantage son destin, rendant son parcours plus contemplatif. Quant à Noy, qui occupe une place plus secondaire, son rôle dans la narration permet d’apporter des moments de respiration au milieu des tensions dramatiques, une pause bienvenue avant de replonger dans la tempête. Ce jeu de rythmes et de points de vue donne au roman une grande fluidité et maintient un suspense constant, rendant la lecture particulièrement immersive.
Un univers intéressant, mais suggéré plus que détaillé
Si certains lecteurs peuvent s’attendre à une description minutieuse du monde d’Arkane, Bordage choisit ici une approche plus subtile. Plutôt que de longues explications, il préfère immerger son lecteur à travers des éléments culturels insérés tout au long du récit : contes, légendes, prophéties et chansons ouvrent chaque chapitre, révélant progressivement la mentalité et les croyances des habitants sans jamais alourdir le texte. Ces intermèdes ne sont pas de simples artifices décoratifs, mais annoncent souvent des événements à venir, enrichissant la lecture en y ajoutant une dimension presque prophétique.
L’organisation sociale d’Arkane est également un point fort du roman. La ville, bâtie sur sept niveaux, reflète une hiérarchie rigide où chaque étage correspond à une classe sociale bien définie, du luxe des Hauts à la misère des Fonds. Ce découpage, bien qu’un peu stéréotypé, fonctionne efficacement et offre un cadre clair pour situer les enjeux et les tensions du récit. En limitant les descriptions aux éléments essentiels, Bordage permet au lecteur de se concentrer sur l’action et les personnages, tout en lui laissant une certaine liberté d’imagination.
| En résumé, Pierre Bordage prouve une fois de plus son talent avec Arkane, un roman parfaitement rythmé, où chaque élément narratif s’imbrique avec précision. Les personnages sont construits avec intelligence, l’intrigue maintient un suspense constant et l’univers, bien que moins détaillé qu’attendu, parvient à captiver grâce à sa richesse culturelle et ses codes bien définis. L’écriture, fluide et immersive, parvient à équilibrer descriptions et actions sans jamais ralentir le récit. En bref, un excellent premier tome, qui pose de solides bases pour une suite qui s’annonce tout aussi palpitante. |
