American War : chronique d’une Amérique en miettes

Publié en 2017 aux États-Unis, American War est le premier roman de l’auteur et journaliste canado-égyptien Omar el-Akkad. Cet ancien grand reporter nous livre une dystopie à la fois audacieuse et terriblement réaliste. Encensé par la critique et la presse américaine, ce récit a trouvé un écho particulier suite à l’élection de Donald Trump, dans une Amérique fracturée depuis 2016. Ce n’est pas une histoire de guerre, mais, comme le dit son auteur, une histoire de ruine, que le public francophone pourra retrouver chez Flammarion et chez J’ai lu.

« Enfant, je vivais avec mes parents, mon frère et ma sœur
dans une petite maison au bord de la mer du Mississippi.
À l’époque, j’étais heureuse. »

Sarat Chesnut

L’histoire

L’histoire, racontée par l’historien Benjamin Chesnut, explore une nouvelle guerre de sécession américaine à travers les yeux de sa tante, Sarat Chesnut. En 2074, le réchauffement climatique a bouleversé la géographie du pays : plusieurs villes côtières sont submergées, la Floride a disparu et la capitale fédérale a été déplacée dans l’Ohio. Quand les États du Nord décident d’interdire les énergies fossiles, certains États du Sud font sécession pour former les États libres du Sud. Le pays sombre alors dans un conflit qui s’intensifie, alimenté par des puissances étrangères manipulant les belligérants. Lorsque la guerre éclate, Sarat n’est qu’une enfant de six ans. Elle perd son père dans un attentat et est contrainte de fuir la Louisiane avec sa famille. Ils trouvent refuge dans le camp Patience, sous les tirs des milices nordistes. Ce traumatisme radicalise la jeune fille, qui s’engage dans les combats animée par une soif de vengeance.  

La planète chauffe, les Américains s’engueulent : un classique.

Le cadre dystopique du roman est fortement influencé par le changement climatique, qui redéfinit les frontières géographiques et sociales des États-Unis. La montée des eaux a englouti des régions entières, forçant les populations à se déplacer et exacerbant les inégalités sociales. Ces transformations environnementales sont autant de sources de tensions politiques et économiques, rendant la collaboration entre les différents États quasi impossible. Ce futur sombre nous rappelle que l’inaction face à l’urgence climatique ne se limitera pas qu’à des conséquences écologiques, mais pourrait également devenir un catalyseur de conflits violents. Les États-Unis deviennent le théâtre d’ingérences étrangères, des puissances comme la Chine soutiennent les factions en guerre, profitant de l’effondrement du pays pour servir leurs propres intérêts. Cette inversion des rôles fait de l’Amérique, traditionnellement perçue comme le gendarme de la planète, une zone de guerre par procuration. Ces interventions extérieures prolongent les souffrances humaines, tout en montrant l’ironie d’une nation autrefois dominante devenue aujourd’hui dominée.

À ces enjeux s’ajoutent les divisions internes entre le Nord et le Sud, exacerbées par la question de l’interdiction des combustibles fossiles. Si le désaccord politique semble totalement technique, il cristallise des tensions sociales et culturelles profondes. Les États du Sud, attachés à leurs traditions et à leur autonomie, s’opposent violemment à un Nord perçu comme élitiste et autoritaire. J’ai adoré le travail d’écriture fait par l’auteur, cette guerre civile fictive est un miroir des fractures idéologiques actuelles dans lesquelles la polarisation croissante menace de paralyser les systèmes démocratiques et de mener à la guerre.

De la Louisiane au chaos : itinéraire d’une vengeance.

L’un des aspects les plus marquants du roman réside dans l’exploration des répercussions humaines des conflits. À travers le récit de Sarat et de sa famille, l’auteur montre comment la guerre détruit non seulement des infrastructures, mais aussi des vies. Les camps de réfugiés, comme le camp Patience, deviennent des lieux de survie où les conditions inhumaines brisent les individus. Ces espaces, loin d’offrir un refuge, exacerbent les traumatismes, transformant des familles ordinaires en témoins directs de l’horreur de la guerre. Ce conflit qui s’étire sur plusieurs décennies laisse derrière lui des générations marquées par la perte et le désespoir.  Dans ce contexte, la mémoire et le récit jouent un rôle fondamental. Le roman se distingue par son recours à des documents fictifs, qui interrogent la manière dont l’histoire est écrite, manipulée et transmise. Qui décide de ce qui mérite d’être conservé ou effacé ? 

Ayant grandi dans un climat de guerre où elle a presque tout perdu, façonnée par ses traumatismes, manipulée par des mentors qui exploitent sa colère et son chagrin, Sarat incarne les mécanismes de radicalisation, révélant comment les violences répétées peuvent transformer une victime en machine de guerre. Sa transformation en fait une arme au service d’idéologies destructrices et met en lumière le cercle vicieux de la violence : chaque acte de vengeance ne fait qu’amplifier les souffrances et alimenter ce cycle sans fin. À travers son portrait, l’auteur nous invite à réfléchir aux conséquences de la guerre et à la nécessité de briser cette spirale.  

American War, d’Omar el-Akkad, est bien plus qu’une dystopie ou un simple récit de guerre. Grâce à sa fresque sombre et réaliste, il explore les mécanismes sociaux, politiques et personnels qui mènent à la destruction et à la radicalisation. Sarat Chestnut, héroïne imparfaite, incarne à la fois les horreurs de la guerre et la complexité des choix humains dans un monde en ruine.

Les commentaires sont fermés.

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑