Aatea, plongée dans une odyssée profonde et bouleversante

Après La Cité diaphane, Anouck Faure nous offre une œuvre sensible et poétique, qui nous entraîne dans son récit aussi sûrement que les flots de la Nuée emportent son personnage principal. Avec un univers riche et original, Aatea vient confirmer que cette autrice et illustratrice est l’une des voix majeures de l’imaginaire français.

« Pour un instant, il est seul sur le navire. Pour un instant, il n’y a que lui, le cri des mouettes, le lent claquement des vagues contre la coque de carbone, les lueurs tremblantes sur les agrégats de sel, la splendeur mortelle de ce monde incertain dont chaque vibration vient courir sur son squelette et sculpter pour lui un palais d’ondes et de courants. »

Aatea, Anouck Faure, Argyll

Onception

Aatea est né trop tôt. Trop tôt pour que sa mère le lie à l’île d’Enatak dont elle est devenue la reine. Trop tôt pour posséder le filament qui lui permettrait de parcourir cette terre vivante sans en subir le poison. Trop tôt pour pouvoir être prince et mener une vie confortable au sein de la caste des nobles. Alors, Aatea devient un navigateur parmi les serviteurs. Grâce à son talent pour l’onception, une capacité qui lui permet de sentir le moindre mouvement dans les flots de la Nuée qui forme le monde, il est l’un des meilleurs parmi ses pairs. 

Condamné pour avoir survécu à l’attaque du navire qu’il avait la mission de guider alors que tous ses autres passagers sont morts, il est reclus sur le ponton d’Enatak, privé de naviguer et incapable de fouler le sable de cette île sur laquelle il ne peut poser un pied, au risque d’en mourir. Bien décidé à prendre en main son destin, Aatea choisit de désobéir et de fuir en mer, là où il pourra oncevoir librement, échapper à la violence et aux règles strictes qui régissent les rapports entre les habitants des îles. Les rencontres et les événements qui surviennent lors de son périple vont lui faire vivre une aventure profondément humaine et l’amener à découvrir des secrets au sujet de la nature même du monde qui l’a vu naître. 

Vaste et onirique

Avant d’être romancière, Anouck Faure est illustratrice. C’est ce qui permet à Aatea de se parer de magnifiques dessins à l’encre, qui viennent enrichir son univers original. Un univers très librement inspiré des légendes et cultures des archipels du Pacifique, que l’autrice avait déjà mis en avant grâce à son travail sur Ta’aroa, un livre objet reprenant le mythe de création de l’univers de la cosmogonie polynésienne. Les dessins qui ornent Aatea ne viennent pas simplement illustrer une scène ou un personnage, mais traduisent l’essence même d’un chapitre, d’un événement, à travers des représentations poétiques de son univers onirique. C’est beau, au point que chaque image pourrait être une couverture de roman à elle seule.

L’autrice peint aussi avec ses mots. Nous dévoilant tout un univers à la nature fantasque, peuplé de créatures marines mystérieuses et sauvages, d’îles racinaires sentientes et d’un océan vaste et onirique, tantôt mer déchaînée, tantôt corps céleste. Le récit d’Anouck Faure dessine les sensations avec plus de force que des gravures : le silence noir d’une plongée dans les abysses, la violence terrifiante d’une tempête où l’océan se mue en gueule béante, la tension d’une mer d’huile submergée par la brume où se dessinent des reliefs incertains. Comme Aatea, le lecteur a envie d’explorer la Nuée pour découvrir les secrets de ses eaux et de ses légendes. Loin de la piraterie qui a connu ses heures de gloire en fantasy, ou d’une planète aqueuse à la Waterworld, le monde d’Aatea est d’une originalité rafraîchissante en littérature de l’imaginaire.

En plein cœur

Si l’on a aimé Aatea, ce n’est pas seulement pour l’originalité de son monde d’îles vivantes et de mers stellaires, mais aussi pour la justesse de ses personnages et de leurs sentiments. Sans fioritures ni pathos excessif, le roman nous parle de souffrance, de conditionnement, de la difficulté de remettre en cause les règles et dogmes de la société, mais aussi et surtout de la liberté. Son héros n’a pas besoin d’être un surhomme épris de justice, de posséder des pouvoirs incroyables (même son talent pour l’onception n’est pas rare au sein de son peuple, au contraire, il est soigneusement cultivé) ou un charisme exceptionnel, c’est son côté profondément humain qui nous touche en plein cœur. Aatea nous montre qu’un personnage peut être sensible et compatissant, sans se montrer faible ou naïf. 

Outre la résilience et le courage dont fait preuve le protagoniste, c’est aussi la belle relation qu’il noue avec une petite fille muette, issue des clans de nomades qui naviguent à travers la Nuée, qui fait la beauté du récit. À travers l’attachement que développent les deux personnages l’un envers l’autre, Anouck Faure nous rappelle que l’affection et l’idée de transmission n’ont pas besoin de filiation pour exister. Elle nous montre aussi comment deux êtres, aussi différents soient-ils, peuvent aspirer à vivre pour eux-mêmes, à se découvrir et à se libérer des chaînes imposées par leur naissance. 

À l’heure où paraît cet article, il est encore possible de précommander des exemplaires dédicacés d’Aatea (jusqu’au 10 janvier). Si comme son personnage éponyme vous avez envie de naviguer sur les flots d’un récit introspectif empreint d’aventure et de liberté, doté d’un final sublime et émouvant, alors foncez découvrir cette pépite à l’originalité folle chez les éditions Argyll. 

Ce livre a été critiqué dans le cadre d’un service presse.

Les commentaires sont fermés.

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑