Robert Jackson Bennett, auteur américain réputé pour ses œuvres de fantasy innovantes, s’est imposé dernièrement comme une voix incontournable du genre. Avec La Cité des marches (City of Stairs, 2014), premier tome de la trilogie Les Cités divines, il propose une histoire fascinante qui mêle intrigue politique, mystère et une réflexion approfondie sur des thèmes tels que le pouvoir, la foi ou la mémoire. C’est paru en début d’année chez Albin Michel Imaginaire et nous avons reçu ce très beau livre par service presse. Nous conseillons sa lecture sans réserve.
« La cité sait. Elle se souvient. Son passé est gravé dans ses os, même s’il ne s’exprime plus à présent que par ses silences. »
L’histoire
Autrefois puissante cité divine capable de conquérir et d’asservir les peuples établis à sa proximité, Bulikov est tombée. Ses dieux protecteurs ont été exterminés par un chef de guerre venu de Saypur. Et une mystérieuse catastrophe a eu lieu dans la foulée : le Cillement. Soixante-dix ans plus tard, Bulikov n’est plus que l’ombre d’elle-même. Restent toutefois visibles, çà et là, certains vestiges des miracles qui l’ont façonnée, notamment d’immenses escaliers brisés qui ne relient plus la terre aux cieux. Quand un célèbre historien est assassiné, le ministère des Affaires étrangères envoie en territoire occupé une de ses meilleures espionnes: Shara Thivani. Se présentant comme une humble diplomate, la jeune femme découvre l’étrange cité des marches et commence son enquête. Mais sa tâche s’avère très vite compliquée et dangereuse, car elle touche un domaine des plus sensibles : le passé divin du Continent. Un passé proscrit, que nul n’a le droit d’évoquer.
Dans un monde brisé par la chute des dieux…
La Cité des marches se déroule dans un monde où Saypur, autrefois une colonie opprimée, a renversé la puissance de Bulikov,l’ancien empire divin, en éliminant ses dieux. Cette inversion des rôles a bouleversé la dynamique entre colonisateur et colonisé, entraînant des conséquences sociales, culturelles et psychologiques profondes. Les divins, autrefois vénérés comme des forces omnipotentes, ont façonné le monde par leur magie. Leur destruction a laissé un vide immense, religieux mais aussi identitaire, abandonnant la société à sa mélancolie. Le roman nous interroge sur la véritable nature du pouvoir divin et comment un tel pouvoir peut-il être annihilé par l’intervention humaine ?
À la croisée des genres, La Cité des marches est un véritable patchwork narratif. Robert Jackson Bennett mêle habilement une fantasy riche en éléments steampunk : où artefacts anciens et machines complexes évoquent les miracles divins disparus, et une intrigue digne d’un roman policier. L’enquête menée par Shara Thivani m’a tenu en haleine grâce à un style d’écriture immersif et ponctué de descriptions saisissantes. J’ai eu l’impression que l’auteur donnait vie à chaque ruelle et chaque monument en ruine. Sous la plume de Bennett, Bulikov devient presque un personnage à part entière : une ville fracturée, hantée par son passé glorieux, mais où la mémoire des dieux perdus semble encore flotter dans l’air.
… intrigues et déchéance se mêlent et se démènent.
Dans cette atmosphère mystérieuse, l’enquête de Shara Thivani est le fil rouge du récit, qui cherche à démêler les secrets enfouis sous les ruines de Bulikov. Malheureusement, son investigation révèle des faits complexes sur l’histoire du continent, sur la chute des dieux ou les machinations à l’œuvre. La quête de Shara sera alors marquée par des dilemmes ardus, donnant à cette héroïne une certaine profondeur, sans être un personnage ultra-charismatique, les lecteurs découvriront une héroïne humaine et équilibrée.
Le point fort de ce récit est son aspect politique, qui est profondément marqué par les conséquences du renversement des dieux. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, l’empire Saypur exerce une domination coloniale sur la ville, créant des tensions entre les colons et les habitants locaux. Dans ce contexte, des luttes de pouvoir internes apparaissent et des factions cherchent à exploiter l’absence des dieux pour renforcer leur propre influence, qu’il s’agisse des autorités impériales ou de ceux qui souhaitent restaurer les divinités. Un jeu de pouvoir fascinant qui souligne les connexions existant entre puissance, culture et religion.
En conclusion, La Cité des marches est une œuvre captivante qui, tout en mêlant fantasy et mystère, explore des thèmes liés à l’emprise, à la mémoire et à la foi. À travers l’histoire de Bulikov, une ville marquée par la chute des dieux et le bouleversement de son ordre ancien, l’auteur invite le lecteur à réfléchir sur les dynamiques de pouvoir, les cicatrices laissées par l’histoire et les impacts psychologiques d’une révolution religieuse et politique. La suite, La Cité des lames, est déjà disponible chez Albin Michel Imaginaire.