Les Résidents, l’enfer lovecraftien

C’est du quotidien que naît l’horreur. D’une routine qui subitement se dérobe aux habitudes, de gens que l’on croit connaître et qui révèlent soudain leur part d’ombre, de ces lieux où l’on se sent en sécurité et qui choisissent de s’ouvrir sous nos pieds. Après Des milliers de plumes noires et Le Passage, le quatuor formé par Jeff Lemire, Andrea Sorrentino, Benjamin Rivière et Dave Stuart nous offre Les Résidents, troisième volume de leur série du Mythe de l’ossuaire. Une plongée angoissante dans des Backrooms dignes de l’enfer.

« Au-delà,il n’y a que le néant et c’est là que se tapit la vraie terreur. »

Les Résidents – Le Mythe de l’ossuaire, Urban comics, Jeff Lemire (scénario), Andrea Sorrentino (dessins et encrage), Dave Stewart (couleurs), Benjamin Rivière (traduction)

Plongée vers l’horreur

Ils sont sept. Sept résidents d’un immeuble somme toute normal, avec des problèmes de voisinage normaux et des vies à peu près normales. Pourtant, tout bascule le jour où Felix, l’un des habitants, meurt. La nuit qui suit son décès, d’étranges événements se produisent, le courant se coupe dans toute la résidence, tous les accès sont verrouillés et l’immeuble entier semble avoir basculé dans une autre dimension terrifiante. En ouvrant la porte de l’appartement de Felix, sept résidents découvrent un escalier qui semble s’enfoncer indéfiniment sous terre. Est-ce une sortie ou bien une plongée plus profonde vers l’horreur ?

Huis clos

Comme les autres tomes du Mythe de l’ossuaire, Les Résidents est une histoire indépendante qui se déroule dans le même univers, avec sa mythologie évoquant les grands anciens d’Howard Philip Lovecraft, mais sans besoin d’avoir lu les précédents albums de la série pour en saisir les enjeux. Cette fois-ci, c’est un huis clos digne de la culture des Backrooms (décidément très à la mode en cette fin d’année), qui s’inspire à la fois de La Maison des feuilles, Brèche vers l’enfer ou Pandorum, que nous propose le scénario de Jeff Lemire.

Les sept personnages reprennent autant de personnalités typiques des histoires d’horreur : Amanda, la mère célibataire dévouée, et son fils Isaac, bien trop malin pour son âge. Justin, le petit dealer qui vend sa dope pour pouvoir s’occuper de sa mère. Tanya, l’artiste maudite. Bob, un accro au jeu qui doit s’occuper de sa femme Vickie, atteinte d’un cancer du poumon très avancé. Et enfin Gary, cliché du type taciturne et vulgaire, qui passe son temps à se plaindre et à critiquer tous les autres. Ce sont leurs conflits et leurs divergences qui pourraient se révéler mortels au sein de l’environnement maléfique dans lequel ils sont plongés, là où seule la coopération peut leur offrir l’espoir d’une sortie.

Sept

La symbolique du chiffre sept sert de fil conducteur à l’album. Sept résidents, sept étages, l’appartement soixante-dix-sept… Ne cherchez pas son symbolisme dans les élucubrations de la pseudoscience ou un mysticisme ridicule, ici, il rappelle plutôt une version tordue des sept péchés capitaux bibliques. Les inspirations liées aux mythes chrétiens sont d’ailleurs nombreuses, et on ne saurait trop conseiller aux lecteurs de parcourir l’album une seconde fois pour les rechercher, ainsi que tous les « 7 » cachés !

Artistiquement, le style très photographique d’Andrea Sorrentino rappelle celui de Sean Phillips, notamment dans sa version comic book de Blast of Silence, tandis que certains choix de découpage et de mise en case, avec des plans presque cinématographiques, évoquent plus le travail de David Aja. Un hyperréalisme qui tutoie des scènes beaucoup plus artistiques, dignes des gravures de Gustave Doré, avec quelque chose de l’horreur macabre de Charles Burns, quand certaines doubles pages (que nous n’avons malheureusement pas la possibilité de vous partager ici) proposent des scènes qui renvoient aux tableaux apocalyptiques de Zdzisław Beksiński ou Wayne Barlowe.

Si le style est un peu déroutant au début, on ne saurait trop conseiller aux lecteurs qu’il rebute de passer outre, l’intérêt de l’histoire prenant vite le pas sur tout le reste. A contrario, ceux qui n’apprécient que peu les récits horrifiques pourront y trouver une analyse grinçante de la psychologie et des travers humains, ainsi que des scènes au symbolisme fort. Bien plus intéressant que s’il s’appuyait sur une horreur graphique crue, Les Résidents joue sur des peurs primaires : l’obscurité, la séparation, l’inconnu, où l’effroi naît (aussi) de la surprise. 

Si les inspirations lovecraftiennes sont légion ces dernières années, Les Résidents et son style singulier est sans nul doute un album à part dans le paysage de la littérature horrifique. Loin de la cruauté et de l’enchaînement de scènes gore d’un titre tel que Crossed, la série du Mythe de l’ossuaire préfère jouer sur un fantastique assumé, mâtiné d’un mélange ésotérique et religieux digne du maître de l’horreur. Un album qui donne envie de découvrir le reste de l’univers, à découvrir aux éditions Urban comics.

Cet ouvrage a été critiqué dans le cadre d’un service presse

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