Parjure, un récit d’amour et de haine

Les mythes et contes scandinaves se passionnent pour les histoires de familles dramatiques. Ce sont celles-ci qui ont inspiré Simon Beauvarlet de Moismont et Nicolas Savoye pour la création de Parjure, un roman graphique sublime, tragique, au découpage et à la mise en scène très originale. Un récit en noir et blanc, digne d’une œuvre shakespearienne, que l’on doit aux éditions Delcourt et à leur collection Mirage.

« Dans cette barque repose notre frère, mort les armes à la main. Sur cette barque s’en va un guerrier, en route pour le paradis des braves. Avec cette barque brûle un héros, ce soir nous boirons en sa mémoire ! »

Parjure, éditions Delcourt, Nicolas Savoye, Simon Beauvarlet de Moismont

Une promesse brisée

Par amour, Baldrik renie les anciens dieux et se convertit au christianisme. Ce faisant, il brise la promesse qu’il avait faite de toujours demeurer auprès d’Aldor, son frère juré. Pourtant, lorsque Urda, l’épouse de Baldrik, décède, celui-ci choisit de l’accompagner dans la mort. Malgré le parjure, Aldor, devenu roi, accepte d’adopter le fils de son ancien camarade. Mais ce dernier a bien du mal à se remettre de la perte de ses deux parents et à s’adapter à la culture et aux coutumes de sa nouvelle famille. Heureusement, Arulf, fils d’Aldor, pourrait bien se révéler être plus qu’un frère adoptif pour le jeune Brunr, un véritable ami à la vie à la mort… si les émois de l’adolescence ne viennent pas semer la discorde entre les deux princes.

Héritage

Parjure ne s’inspire pas seulement de la Scandinavie du Xe siècle, de la montée du christianisme, des raids vikings et des mythes païens, mais bien de tout un héritage littéraire. Dans la La Völsunga saga, Sigurd est victime d’un sort qui lui fait perdre tout souvenir de son aimée, Brunhilde, afin qu’il épouse Hilda. Le frère de cette dernière, Gunar, peut ainsi épouser l’ancien amour de Sigurd, mais, lorsque le héros s’aperçoit qu’il a été manipulé, un violent conflit engage les deux familles. Dans La Saga de Thorsten le Blanc, ce sont deux frères, Torstein et Einar, qui glissent peu à peu de l’amour à la haine, jusqu’à ce que l’un finisse par tuer l’autre. L’Edda poétique et l’Edda de Snorri sont remplies de chansons, de contes et de légendes qui ont pu servir d’inspiration à l’histoire de Parjure.

Comme dans les légendes nordiques, on retrouve également dans cette bande dessinée de douloureux quiproquos, des égos meurtris, de beaux moments de complicités et une violence crue, sans fard. La manière dont les deux scénaristes ont découpé leur récit, pour le rendre à la fois cohérent avec le style scaldique de l’époque et riche en symboles cinématographiques, rappelle l’excellent The Northman, de Robert Eggers avec Alexander Skarsgård, qui donnait une dimension incroyable à l’histoire d’Amleth, prince de Danemark (la même qui inspirera le Hamlet de Shakespeare, à croire que la boucle est bouclée).

Une esthétique forte

Loin des épopées fantastiques du Siegfried d’Alex Alice, Parjure offre un récit humain, franc, qui rappelle, s’il en est besoin, que ce sont les sentiments qui guident les hommes. Fort d’une esthétique qui prend ses racines à la fois dans les contes qui l’on inspirée et dans des titres phares du roman graphique tels que Persepolis ou Chère créature, l’œuvre se distingue par ses images éloquentes, qui parlent d’elle-même, sans besoin de dialogues superflus. Les émotions qui troublent les personnages sont limpides, qu’elles soient représentées directement ou suggérées par le découpage.

On admire aussi la maîtrise de Nicolas Savoye lorsqu’il s’agit de traduire une ambiance uniquement avec du noir et du blanc, sans niveau de gris, et avec très peu de trames. Là encore, la mise en page joue beaucoup : en s’affranchissant des structures classiques de la BD franco-belge, l’illustrateur alterne entre des plans pleine page et des cases multiples, qui parfois se chevauchent ou débordent pour signifier la simultanéité des actions. On navigue entre des scènes qui nous donnent le point de vue direct de Brunr, et donc toute la mesure de son ressenti, ainsi que d’autres, extérieures, qui font de nous les spectateurs de ce qui échappe à son regard. Le tout avec une clarté et une cohérence qui font de ce roman graphique un véritable chef-d’œuvre.

Parjure, éditions Delcourt, scène de forêt
Entre tragédie familiale et légende nordique, Parjure est un récit puissant, novateur et incroyablement prenant. Riches en symboles et en métaphores, ce roman graphique nous dépeint un fait universel, qui a traversé les époques et les civilisations : Plus fort que l’amour est la haine qui en découle. Triste, mais magnifique.

Cet ouvrage a été critiqué dans le cadre d’un service presse.

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