Starfish : La hard S.-F. en apnée

Starfish fait partie de ces œuvres difficiles à classer : angoissante, mais pas assez pour tomber dans l’horreur ; futuriste, mais trop proche pour être du cyberpunk ; fictionnelle, mais si bien documentée qu’elle en devient totalement crédible… C’est un roman d’anticipation qui doit son succès à son cadre original, les profondeurs abyssales des dorsales du Pacifique, et la grande vraisemblance de son univers. Logique, lorsqu’on sait que Peter Watts, son auteur, est titulaire d’un doctorat en biologie marine.
Ce qui est sûr, c’est que ce tome 1 de la trilogie Rifteurs, à mi-chemin entre thriller et hard science-fiction, ne laisse aucun lecteur indifférent.

Depuis quelques jours,
elle accorde beaucoup d’importance à sa vie.
Ce qui signifie peut-être qu’elle est en train de disjoncter.
Quel genre de rifteur se soucie de vivre ?

Starfish, Peter Watts, Pocket

Dans les profondeurs, personne ne vous entend crier

Dans un futur pas si lointain, après les catastrophes environnementales, la corruption d’Internet et la prise de pouvoir des multinationales, le monde à désespérément besoin de l’énergie produite par les cheminées hydrothermales et la friction des plaques de la dorsale de Juan de Fuca. Pour entretenir la station géothermique qui s’y trouve, à presque 3 000 mètres sous le niveau de la mer, une équipe de six « rifteurs » est formée et envoyée pendant un an dans les abysses. Afin de survivre dans cet environnement noir et hostile, leur contrat inclut des modifications physiques (poumon spécial qui permet de respirer sous l’eau, calottes cornéennes pour voir dans l’obscurité…) et un suivi psychologique.

Là-bas, Lenie Clarke devient rapidement cheffe d’équipe de la station Bebee, où l’isolement au sein de ce huis clos forcé, lui fait développer d’étranges liens avec ses compagnons. Isolés du monde, isolés dans leur tête, les rifteurs ont tous un passé lourd, rempli de traumatismes et de violence. Serait-ce la raison pour laquelle ils ont été choisis, parce que seul un esprit déviant peut supporter la solitude et le silence des profondeurs abyssales ? Sont-ils tous en train de devenir fous ou bien la société qui les emploie leur cache délibérément des informations sur ce qui se trame à la surface ? Repliée sur elle-même, Clarke perd petit à petit son humanité pour devenir quelqu’un d’autre. Quelque chose d’autre.

Les abysses de la psyché

Loin d’être un roman bourré d’aventure et d’action, Starfish est avant tout une plongée dans la psyché. Ici, l’angoisse se trouve autant dans l’obscurité des profondeurs, dans ses créatures aveugles et spectrales, que dans la folie qui se tapit au sein des esprits. La psychologie des personnages est au cœur du récit. C’est une introspection dans les vices, les peurs, les traumatismes, dans nos propres incohérences que l’on refuse d’admettre… Une descente vers les abysses de la paranoïa. Peter Watts parvient à faire naître la sensation de claustrophobie aussi bien dans le vaste océan qu’au sein de la station Bebee ! On remarque d’ailleurs bien vite que Yves Scanlon, le psychologue chargé du suivi des rifteurs, semble plus les considérer comme des sujets d’études que des patients. Le regard, parfois malsain, qu’il porte sur leur trouble comportementaux nous renvoie à notre propre voyeurisme de lecteur.

Sous l’océan, la vie

Le récit profite également beaucoup du bagage scientifique de son auteur, qui a su rendre tout son univers parfaitement crédible et cohérent, que ce soit d’un point de vue politique, biologique, psychiatrique ou environnemental. Les dernières pages du livre sont d’ailleurs consacrées aux nombreuses références (articles, essai, chercheurs…) qui étayent les informations disséminées dans le récit. Bien que fourmillant de données scientifiques, l’œuvre reste parfaitement accessible aux profanes et donne un cadre précis à ces profondeurs où la vie a su se développer malgré des conditions extrêmes. Immenses poissons translucides, crustacés qui survivent dans la mince bande d’eau tempérée à proximité des fumeurs, ces cheminées hydrothermales nées de la rencontre de l’eau glacée de l’océan et du magma présent sous la croute terrestre, et surtout les étoiles de mer, dont la capacité de régénération est une métaphore de l’idée de résilience du roman.

Enfin, il serait faux de croire que sa volonté de centrer l’histoire sur les relations entre les personnages en fait un roman ennuyeux. Le dernier tiers apporte son lot de révélations sur l’intrigue et fait parfaitement le lien avec tous les éléments disséminés dans les chapitres depuis le début, pour nous offrir un final véritablement explosif.

Véritable thriller de science-fiction psychologique, Starfish est une œuvre à part dans le petit monde de la littérature de l’imaginaire. Une anticipation froide et mordante, aussi angoissante que surprenante. Avec son ambiance oppressante, il est à réserver au lecteur averti, celui qui n’a peur ni du noir ni des miroirs de l’âme. Un roman diablement intelligent, qui surprend autant qu’il interroge.

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