Place d’Âmes de Sara Schneider

Place d’Âmes est la 21e œuvre de la collection Ludomire, de l’éditeur PVH, et ma première lecture venant de cette belle maison d’édition franco-suisse spécialisée dans les littératures de l’imaginaire. C’est dans le canton du Jura suisse que se situe le récit écrit par Sara Schneider. La fiction historique se mêle au fantastique par l’intermédiaire de deux temporalités, au sein d’une histoire locale et dramatique . L’œuvre est portée par une belle plume, qui met l’accent sur les émotions des personnages, et avec très peu de descriptions superflues.

« De façon absurde, il pense qu’un fantôme sera moins
à l’aise au milieu des véhicules qu’entre les épicéas.« 

Des spectres hors du temps et engagés !

Le surnaturel habite le Jura suisse, imprègne les pâturages du district des Franches-Montagnes et lie ses habitants à leur région avec un attachement particulier. Certaines personnes sensibles, comme le jeune Mathis, ont le don de percevoir cette magie et ils souffrent dans leur chair quand on agresse leur terre. Au XVIIe siècle, on les brûlait pour sorcellerie. Mais qu’arriverait-il si l’un d’eux, aujourd’hui, se retrouvait confronté à des paysages défigurés par une place d’armes ? Et s’il réveillait quelques combattants défunts pour reprendre la lutte et rendre à la nature sa magie perdue ?

Véritable uchronie jurassienne au cœur de la Suisse romande (la Suisse francophone), Place d’Âme commence par un si, et si la place d’armes des Franches-Montagnes avait été finalement construite par la Berne fédérale dans les années 1970…

Deux temporalités et un canton suisse

Quelques années après la fin de la guerre de Trente Ans, qui a permis l’indépendance de la Confédération suisse du Saint Empire romain germanique, la paix de Westphalie (1648) est proclamée. La paix, certes, mais le diable se cache dans les détails. Et l’insinuation au diable est courante à cette époque quand l’inexplicable survient. La famille Voirol en a déjà fait les frais et voici que le sort s’acharne encore sur eux. En 2024, c’est près de la tourbière de la Chaux que le surnaturel s’exprime, un endroit investi par l’armée qui y mène des activités secrètes, dont les enjeux pourraient dépasser même le plus courageux des enfants. 

Les deux temporalités du récit se conjuguent très bien et l’alternance se fait en douceur grâce à la cohérence du lieu, le canton du Jura suisse, écartelé entre la France et le canton de Berne, dit le canton de l’Ours.

Des « sorcières » pendant la Renaissance

Comme l’écrit si bien Mona Chollet dans ses ouvrages, la chasse aux sorcières ne se limite pas au Moyen Âge européen, des centaines de procès pour sorcellerie ont aussi eu lieu pendant la Renaissance (des années 1350, après la Peste noire à la paix de Westphalie dans les années 1650). Des dizaines de milliers de femmes furent accusées, torturées et exécutées. Cette chasse aux sorcières n’est qu’une preuve de plus de la domination des hommes sur les femmes, bien qu’elle fut parfois orchestrée avec la complicité de ces dernières. Cette traque était mue par des raisons politiques, idéologiques et culturelles. Les hommes deviennent stupides et violents quand ils se sentent inférieurs aux femmes, l’histoire mondiale et globale des luttes féminines regorge d’exemples à travers les âges et les cultures.

Des luttes écologiques contemporaines

Le vent se lève pour porter les cris des cœurs enflammés vers les jours et les nuits les plus vertes de notre siècle. D’une tourbière à un musée rural, les souvenirs et la mémoire d’un lien restent encore vivants des siècles après les événements. C’est souvent la jeunesse qui remet au goût du jour des problématiques et des luttes oubliées, volontairement ou non, et des engagements enfouis dans les sphaignes du temps. Le combat de Mathis, en 2024, pour la préservation de la tourbière et celui de Tiennette, au XVIIe siècle, contre l’injustice de son temps, résonnent dans la Place d’Âmes. 

Mathis est attaché à la tourbière, ce lieu hybride où les vivants et les morts se rencontrent grâce à la lente décomposition qu’implique ce milieu biologique. Il voit sa vie changé quand il aperçoit des formes étranges à la périphérie de sa vision. Le présent et le passé se répondent, la vie des Voirol, à Genevez dans les années 1650, aura des implications à travers les siècles, et ce jusqu’à une certaine représentation théâtrale, dans une école primaire de la commune des Breuleux…

Pour ceux qui aimeraient en connaître plus sur l’histoire du canton du Jura, pour les curieuses et curieux qui souhaitent lire une belle fiction historique avec un ancrage local, Place d’Âmes est fait pour vous. La double temporalité du récit permet une jolie dynamique de narration et les touches fantastiques mettent en avant les moments clés de la vie de Mathis et Tiennette. Si celle-ci vous plaît, la collection Ludomire de PVH éditions a d’autres belles œuvres en stock. « Que brille la liberté ! »

Pour aller plus loin

Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Paris, éditions Zones,  2018

France Culture, podcast en 3 parties, Ce que cachent les sorcières, mai 2024

Claude Hauser, L’aventure du Jura, Suisse, éditions Antipodes, 2004

Plus de détails sur la Question jurassienne et le premier plébiscite de 1974 qui voit la création du canton du Jura : les archives de la RTS (Radio Télévision Suisse)

Cet ouvrage a été chroniqué dans le cadre d’un service presse. Merci PVH !

Les commentaires sont fermés.

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑