Avant 1984 et Le Meilleur des mondes, il y avait Nous

Il est de ces romans qui, bien qu’ils soient novateurs pour leur époque, ne reçoivent pas les éloges et le rayonnement mérités pour leur influence sur tout un genre. Nous, le roman dystopique écrit par l’auteur russe Evgueni Zamiatine en 1920, en est un parfait exemple, puisqu’il aura été éclipsé par deux œuvres qu’il aura pourtant grandement influencées : le premier, c’est 1984 de George Orwell, suivi de Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley.

« La vie entière dans toute sa complexité et sa beauté est à jamais gravée dans l’or des mots. »

Nous, Evgueni Zamiatine

Un bonheur absolu

L’entrée en matière dans le monde de Nous se fait au travers d’un journal, rédigé par quelqu’un portant le numéro D-503 et ayant pour fonction d’être le constructeur d’un immense vaisseau nommé L’INTÉGRALE. Dans la société de D-503, le bonheur est une valeur absolue et les mathématiques régissent l’entièreté du quotidien de chaque individu, réuni sous la coupe d’un leader nommé le Bienfaiteur. La logique et la raison sont les mots d’ordre de chaque Numéro, et il ne peut en aller autrement, car ce serait s’opposer à l’’État Unitaire… Jusqu’au jour où D-503 se retrouve confronté à des événements qui le placeront face à une terrifiante réalité. 

Cette civilisation mathématiquement dogmatique qu’imagine Zamiatine, lui-même mathématicien, montre des éléments inédits et novateurs confirmant l’importance de ce récit matriciel à l’origine d’un genre littéraire tout entier. Au-delà d’évoquer l’abolition de l’intimité par le biais d’heures prévues pour les activités sexuelles, Nous évoque une existence formatée, réglée à la minute près, où la notion d’imprévu et d’imagination n’existe pas. Si dans Fahrenheit, le héros découvrait les livres, dans Nous, D-503 découvre « l’âme », une maladie que l’État Unitaire avait réussi à endiguer durant la Grande Guerre de deux Cents Ans. 

Contre-Utopie, ou dystopie ?

L’âme le propulse dans un tourbillon de tourments et d’émotions inconnues, et ce à cause d’une seule rencontre : celle d’une étrange femme nommée I-330 qui lui fait découvrir une autre réalité, où la lutte existe. Face à ce système répressif et cette utopie forcée, une révolution s’organise dans l’ombre pour faire tomber la dictature du bonheur obligatoire. À la question : « Pourquoi vouloir détruire une société conçue comme étant parfaite ? », Evgueni Zamiatine évoque l’idée que les révolutions sont dans l’ordre naturel des choses, car le pire ennemi de l’homme est bel et bien le bonheur absolu. Un système politique complexe doit, à un moment où à un autre de son existence, être détruit ou reconstruit, mais toujours par le biais de la révolte.

Cette peur de s’oublier dans une félicité absolue, c’est bel et bien ce qui ressort de la lecture de Nous, et ce malgré un style d’écriture parfois volubile et confus, qui nécessite de rester attentif. Malgré sa parution il y a plus de cent ans, Nous reste à ce jour un classique de la littérature, fondateur de la contre-utopie (à différencier de la dystopie), qui se montre extrêmement pertinent dans sa manière d’aborder la notion de bonheur. Il est peut-être enfin temps de lui accorder le mérite qui lui revient, aux côtés des œuvres qu’il a inspirées. 

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